Il n’y a pas si longtemps, l’Europe entière évoquait la « crise des réfugiés ». À ce moment-là, des dizaines voire des centaines de milliers de migrantEs et de réfugiéEs cherchant l’asile traversaient le continent européen, à pied ou cachés à bord de camions, en partant du littoral grec et en passant notamment par les Balkans...
On était alors en été-automne 2015. Depuis, cette même traversée est devenue impossible : la frontière entre la Grèce et la Macédoine a été fermée, et la Hongrie s’est barricadée avec des murs et des clôtures... L’Allemagne est le pays de l’Union européenne qui a, pendant cette période courte mais mouvementée, accueilli le plus grand nombre de migrantEs. Le nombre des arrivées sur l’ensemble de l’année 2015 a souvent été chiffré à un million, même si le nombre réel de personnes accueillies doit être plus proche de 700 000.
Le gouvernement d’Angela Merkel a, pendant un court laps de temps, accompagné ce mouvement en décidant le 4 septembre 2015 de ne pas appliquer la Convention de Dublin qui permet de renvoyer les réfugiéEs dans un autre pays de l’Union européenne, enregistrant ainsi les demandes d’asile de tous les arrivantEs. En même temps, le gouvernement fédéral avait de facto délégué une partie du traitement « humanitaire » des arrivantEs, en faisant massivement et explicitement appel à l’engagement « civique » pour accueillir ces personnes en détresse. C’est ainsi qu’on a vu en 2015 pendant quelques semaines des dizaines de milliers de personnes de la « société civile » – dont beaucoup n’étaient pas des militantEs politiques ou associatifs – offrir leur aide, des vêtements chauds dans des gares, se mobiliser pour donner des cours d’allemand ou pour ramener des jouets aux enfants...
Cela a laissé des traces : dans une ville comme Berlin, le nombre des personnes ayant laissé leurs coordonnées à des collectifs d’aide en urgence est supérieur à celui des militantEs organisés, tous bords confondus. Mais dans le même temps, la société s’est nettement polarisée, l’hostilité aux migrantEs s’exprimant elle aussi plus qu’il y a deux ou trois ans. Ce n’est pas seulement la montée (forte depuis l’été 2014) du parti d’extrême droite AfD qui en témoigne, mais aussi le nombre d’attaques violentes contre des structures d’accueil de migrantEs. Ainsi, leur nombre a atteint 970 l’année passée.
Radicalisation du gouvernement
Aujourd’hui, le discours politique officiel a radicalement changé, pour s’adapter aux expressions des « craintes » et des « crispations » dans une partie non négligeable de la société. Dès octobre 2015, la chancelière Angela Merkel avait joué un rôle important dans la négociation du futur accord (conclu finalement le 18 mars 2016 à Bruxelles) entre le pouvoir turc et l’Union européenne, accord visant à bloquer les réfugiéEs du Moyen-Orient en Turquie. Et depuis quelques mois, la ligne gouvernementale s’est fortement radicalisée. Une conférence des ministres de l’Intérieur des États fédéral et régionaux (Bund et Länder), les 29 et 30 novembre 2016 à Sarrebruck, a ainsi décidé de renvoyer 12 500 réfugiéEs d’Afghanistan dans leur pays d’origine, et les premières expulsions vers Kaboul ont commencé en décembre. Des contre-manifestations ont eu lieu.
À une échelle très décentralisée, les résistances d’une partie de la société civile face au durcissement de cette politique se mettent en place. Ainsi dans une ville moyenne comme Ratisbonne (Regensburg) en Bavière, peuplée de 140 000 habitantEs, seules 80 personnes – essentiellement des bénévoles – avaient manifesté en décembre dernier contre le renvoi de jeunes Afghans et pour leur accès à l’emploi. Puis, au fil des semaines, 2 000 signatures de soutien ont été recueillies, puis remises début mars aux autorités locales. Et le vendredi 3 mars, des centaines de personnes de toute la région ont convergé à bord de véhicules pour se retrouver dans la capitale régionale, Munich, alors que la politique de cet État-région est réputée particulièrement dure en matière d’immigration...
Bertold du Ryon