Extraits d’une déclaration du bureau de la IVe Internationale.
Malgré l’agressivité de Biden et de l’Otan, les puissances européennes sont divisées sur la conduite à tenir. Alors que certains pays comme la France et l’Allemagne sont très réticents à s’engager dans la dissuasion militaire, l’attitude servile du gouvernement espagnol « progressiste » est particulièrement pathétique. Logiquement, l’Allemagne est un pays clé dans ce scénario, car sa vulnérabilité économique et sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie sont énormes.
À propos des menaces de « sanctions » par Biden
M. Biden brandit la menace de sanctions inédites, telles que l’exclusion de la Russie du système mondial de paiement SWIFT ou la fermeture du gazoduc Nord Stream 2, ce à quoi M. Poutine répond que cela signifierait la « rupture totale des relations » avec les États-Unis. Si la Russie, qui augmente délibérément le prix de ses exportations de gaz vers l’Europe en tant que mesure de pression géopolitique depuis des mois, devait décider soit d’augmenter encore le prix, soit de couper directement les approvisionnements, nous parlons d’une réduction drastique de l’activité industrielle et de l’approvisionnement en électricité et en chauffage d’une grande partie de l’Europe centrale, avec l’impact socio-économique qui en résulterait, qui serait sans aucun doute dramatique. D’autre part, si la Russie devait être exclue du système SWIFT, les 56 milliards de dollars d’actifs financiers occidentaux et les 310 milliards d’euros placés dans des entreprises russes seraient très probablement gravement compromis par un ciblage immédiat de la réponse russe (en fait, même certains responsables occidentaux déclarent que ce n’est pas réaliste). Il ne fait aucun doute qu’une guerre énergétique, financière et commerciale de ce calibre serait mortelle pour une économie mondiale traînant deux ans de pandémie et tous les effets déstabilisants accumulés pendant quarante ans d’onde longue récessive, de financiarisation et de déréglementation néolibérale et, last but not least, elle favoriserait un nouveau rapprochement géoéconomique et géopolitique entre la Russie et la Chine, le plus grand cauchemar imaginable pour les stratèges de Washington.
Incertitudes de la situation
Les autorités américaines et britanniques ordonnent à leurs citoyens de quitter l’Ukraine, invoquant le risque d’une invasion russe du pays. Ces actions contribuent à créer une psychose de guerre et à rendre la situation encore plus tendue. Toutefois, l’Allemagne a opposé son veto à la livraison d’armes de l’ancienne RDA (Allemagne de l’Est) à l’Ukraine, livraison souhaitée par certaines républiques baltes. Les vols militaires britanniques transportant des armes vers l’Ukraine évitent ces jours-ci de survoler le territoire allemand. Paradoxalement, les rares commentaires sensés sur la situation actuelle n’émanent pas de politiciens ou de journalistes, mais de certains militaires : « Les médias mettent de l’huile sur le feu d’un conflit, j’ai l’impression que personne ne se rend compte de ce que signifie réellement une guerre », déclare le général Harald Kujat, ancien inspecteur général de la Bundeswehr. « Il n’est pas possible que nous ne parlions que de la guerre au lieu de savoir comment l’empêcher ».
La situation politique russe et les intentions de Poutine
La Russie, avec un budget militaire équivalent à 3 % des dépenses militaires mondiales (n’oublions pas que nous parlons de la deuxième armée conventionnelle du monde, de forces terrestres équivalentes à celles des États-Unis et d’un arsenal nucléaire presque équivalent à celui des États-Unis), joue un jeu de déstabilisation très dangereux dans un contexte de division stratégique et de crise interne à l’Otan, qui pourrait provoquer une réaction très agressive de cette alliance militaire. La politique étrangère de la Russie est indubitablement réactionnaire, contrairement aux affirmations des campistes de gauche nostalgiques de la guerre froide qui confondent les politiques néotsaristes, oligarchiques et nationalistes de Poutine – qui ont contribué à écraser des rébellions authentiques et les révolutions populaires en Syrie, en Biélorussie et au Kazakhstan, et à museler, réprimer et intimider l’opposition démocratique et les forces populaires dans la Fédération de Russie… – avec les politiques révolutionnaires, prolétariennes et internationalistes de Lénine. Aujourd’hui, la société russe souffre d’une pauvreté et d’une inégalité massives (encore plus élevées qu’aux États-Unis). En fait, la « nouvelle architecture du monde » prônée par la Russie est l’impérialisme à l’ancienne du début du 20e siècle, où le monde est divisé en « sphères d’intérêts » des grandes puissances et où les petits pays se voient refuser tout droit de contrôler leur propre destin. Dans cette perspective, la principale revendication de la Russie à l’égard de l’Amérique est qu’elle a construit un monde « unique et souverain » (selon la célèbre expression de Poutine) et qu’elle n’est pas disposée à le partager avec le reste des acteurs mondiaux.
Cependant, pour la plupart des médias occidentaux, Poutine et le « redoutable » Lavrov sont les seuls méchants du film. Mais la vérité est que, pour reprendre les termes d’un homme aussi peu suspect de radicalisme bolchevique qu’Oskar Lafontaine, « il existe de nombreuses bandes de meurtriers dans le monde, mais si l’on compte les morts qu’elles causent, la bande criminelle de Washington est la pire ». Ce dont le peuple russe a besoin, c’est d’une détente, d’une chance de développer une opposition démocratique et populaire capable de fracturer la fragile alliance entre la bureaucratie post-stalinienne et l’oligarchie mafieuse qui constitue la base du régime autoritaire incarné par Poutine, de désamorcer l’hystérie nationaliste qui lie ce bloc réactionnaire et de relancer les revendications des jeunes, des femmes et du monde du travail dans une clé internationaliste.
Que pouvons-nous attendre ?
Il est tout à fait hors de question que la Russie « envahisse l’Ukraine » et occupe tout le pays. Dans les rues de Budapest, on peut encore voir aujourd’hui des traces de l’occupation soviétique de 1956. Ce qui s’est passé alors en Hongrie serait un jeu d’enfant comparé à ce qui se passerait aujourd’hui en Ukraine.
Il est beaucoup plus probable que Poutine installe des missiles nucléaires « tactiques » en Biélorussie, à Kaliningrad et dans d’autres territoires voisins. On ne peut pas non plus exclure la possibilité d’une annexion du Donbass. La hausse actuelle des prix du pétrole et du gaz, et l’espoir qu’elle se poursuive, pourrait permettre au Kremlin de couvrir les coûts économiques de ces opérations. Et, bien que moins probable et beaucoup plus risquée – et certainement beaucoup plus sanglante – une opération militaire russe visant à s’emparer de la zone située au sud du Donbass (Mariupol) afin d’organiser une ceinture de sécurité en direction du sud-ouest et de relier deux zones rebelles à la péninsule de Crimée, n’est pas non plus à exclure.
Les développements actuels sont graves et extrêmement dangereux pour la paix en Europe. Comme nous le savons, dans les situations de tension maximale, aucun acteur n’a le contrôle absolu des événements et tout accident peut déclencher des situations incontrôlables. Une mobilisation internationale est nécessaire de toute urgence pour jeter les bases d’une offensive mondiale antimilitariste et antinucléaire. Les tensions dans la zone Asie-Pacifique sont également liées à l’escalade en cours en Ukraine et les tentations impérialistes en période de crise économique, sociale et institutionnelle des grandes puissances sont particulièrement dangereuses. Pour toutes ces raisons, nous appelons les organisations politiques, sociales, associatives, nationales, régionales et internationales à rechercher de grands rendez-vous de mobilisation internationale pour renouer avec l’élan internationaliste et solidaire de la gauche.
Le 30 janvier 2022.