Entre « l’homme de guerre et l’homme de paix », comme a titré Libération, c’est bien le second qui a largement dominé dans les médias. Peres n’a pas observé l’évolution de son pays depuis une résidence d’où il profitait de sa retraite politique. Jusqu’au bout, il a été acteur au premier plan...
De 1970 à 2014, il occupa successivement les postes de ministre des Transports, des Finances, de la Défense, de Premier ministre puis de président d’Israël. La situation actuelle, que le champ politico-médiatique français tend à prendre comme exemple sécuritaire, n’est pas étrangère à Shimon Peres : elle est une part de son héritage.
Aujourd’hui, Israël est d’abord le second pays le plus inégalitaire de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). 21 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté1 – dont 38,9 % des Palestiniens d’Israël2 – contre 13,8 % en 1995.
Médiatisation
Inspiré par son ami Silvio Berlusconi, et peut-être aussi lecteur d’Antonio Gramsci, Benyamin Netanyahu place la question culturelle et médiatique au centre de sa politique. Il juge les médias traditionnels trop « gauchistes ». Par le biais de son fidèle soutien, le milliardaire Sheldon Adelson, il a fait du journal gratuit Israël Hayom l’organe de presse non officiel du Likoud, son parti. C’est actuellement le journal le plus diffusé et lu dans le pays.
L’actuel ministre de l’Éducation et de l’Information, Naftali Bennett, est le leader du parti du Foyer juif, issu idéologiquement du sionisme religieux3 et principale organisation politique représentant les colons. Il a été chargé par Netanyahu de mener une réforme d’envergure visant à supprimer l’autorité de radiodiffusion d’Israël, service public de radio et de télévision, au profit d’un nouveau service créé par le gouvernement. Annoncée en 2014, cette réforme a pour le moment été reportée à 2017, afin de calmer la vague de protestation qu’ont engendrée ces annonces. Plus récemment, +972 a révélé que depuis 2011, près de 17 000 articles de presse avaient été censurés, partiellement ou totalement, par les autorités militaires4.
Répression
Les pacifistes israéliens sont pris pour cible. En début d’année, les activistes Ezra Nawi, Guy Batavia et Nasser Nawajeh ont été inculpés pour leur activisme en Cisjordanie. Durant leur procès, les juges ne se sont pas cachés d’avoir obtenu des renseignements de l’organisation d’extrême droite Ad Kan, qui a fait de l’infiltration des milieux activistes israéliens sa spécialité. Il leur est notamment reproché d’avoir tissé des liens avec des mouvements de résistance palestiniens.
Parallèlement, l’organisation d’extrême droite Im Tirtzu, devenu depuis 2013 l’un des premiers mouvements estudiantins israéliens, a fait campagne contre différentes ONG qui mettent en cause la politique israélienne en Cisjordanie, telles que B’tselem ou Breaking the Silence. Elles sont accusées de participer à la délégitimation d’Israël, tout en étant financées de l’étranger. À travers des clips et des affiches virulentes, où les noms et les photographies des militantEs sont affichés, Im Tirtzu réclame une loi pour les empêcher d’agir. C’est presque chose faite puisque depuis cet été, la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, jeune figure du parti de Bennett, a fait voter une loi obligeant toutes les organisations bénéficiant de fonds venus de l’étranger de les déclarer publiquement. En clair, ces associations passent pour des traitres à Israël. C’est leur crédibilité et leur sécurité qui sont en jeu.
Invisibilisation
La question palestinienne a disparu des écrans israéliens. La politique d’invisibilisation de la population palestinienne, entamée par Sharon en 2001, a porté ses fruits. Lors des élections législatives de mars 2015, seulement 9 % des juifs israéliens considéraient la paix avec les Palestiniens comme prioritaire5. Sauf lors d’attaques sporadiques de jeunes palestiniens ou le jet de roquettes depuis Gaza, les Palestiniens restent absents du quotidien des Israéliens.
L’échec des accords d’Oslo et la seconde Intifada avaient dégradé l’image d’Israël en Occident. La droite israélienne a su trouver dans le 11 septembre 2001 un moyen de rester un allié indéfectible dans la région : alimenter les aspects religieux du conflit et se proclamer à l’avant-garde d’une lutte à la fois civilisationnelle et contre le terrorisme. Ce n’est pas anodin si Netanyahu fait de Jérusalem, la ville trois fois sainte, un enjeu central.
Pour celles et ceux qui s’attendent à une réaction des institutions étatiques face à ces dérives fascisantes, Netanyahu a su placer ses pions. L’actuel chef de la police, Roni Alsheik, est un sioniste religieux, tout comme Noam Sohlberg, dernier juge entré à la cour suprême, ou Yoram Cohen, directeur du Shin Beth (service de sécurité intérieure) de 2011 à mai 20166. Actuellement, près de 40 % de l’état-major israélien vit dans les colonies.
Sans mobilisation internationale ou capacité du mouvement national palestinien de remettre les problématiques de l’occupation au centre, c’est à présent davantage sur une bataille entre sionistes laïques et religieux que le champ politique israélien va se redéfinir.
Thomas Vescovi
Professeur et chercheur en histoire contemporaine, et auteur de la Mémoire de la Nakba en Israël (L’Harmattan, 2015).
- 1. Études économiques d’Israël 2016, OCDE, janvier 2016
- 2. Israeli govern ment policy toward the Arab community, Mossawa Center, 30 mars 2016.
- 3. Si le sionisme originel est pensé par des athées ou des laïcs, le sionisme religieux fait une jonction entre le judaïsme orthodoxe et le sionisme tel qu’il a été pensé par les fascistes juifs des années 1920-1930, à l’instar de Vladimir Jabotinsky.
- 4. Haggai Matar, « IDF censor redacts 1 in 5 articles it reviews for publication », 972mag.com, 26 septembre 2016.
- 5. Marissa Newman, « Le coût de la vie en tête de liste dans les sondages », timesofisrael.com, 25 janvier 2015.
- 6. Il a été remplacé par Nadav Argaman, laïque mais désigné par Cohen pour être son successeur.