Publié le Mercredi 20 avril 2022 à 20h00.

Face aux complicités et aux renoncements : contre l’extrême droite, faire vivre une alternative

Dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 2002, un slogan avait fleuri dans les manifestations contre Le Pen père : « 20 ans de politiques antisociales c’est 20 % pour le Front national ». 20 ans plus tard, le moins que l’on puisse dire est que si le slogan a vieilli, ce n’est pas parce que la corrélation qu’il établissait a disparu, mais parce que les chiffres ont continué d’augmenter en proportion…

La progression régulière de l’extrême droite depuis 40 ans se fait sur fond de crise économique et sociale et d’absence de projet alternatif crédible à une échelle large. À ce titre, ce sont l’ensemble des partis institutionnels qui portent une responsabilité dans le développement du FN/RN, a fortiori dans la mesure où ils ont peu à peu repris les thématiques de l’extrême droite (ordre, sécurité, immigration), voire ses propositions.

Les responsabilités de la droite… et de la gauche

Il est évident que la droite « classique », de plus en plus difficile à distinguer de l’extrême droite, et la droite macronienne, avec sa gouvernance ultra-libérale et autoritaire, ont joué un rôle central dans la légitimation et le développement du FN/RN. Nous l’avons régulièrement expliqué dans nos colonnes, en alertant sur le fait que la reprise des thématiques de l’extrême droite, combinée à des politiques accroissant la misère et les inégalités, ne pourrait que déboucher sur des succès électoraux pour Le Pen.

Mais la gauche gestionnaire, dont certains représentants se posent aujourd’hui en donneurs de leçons d’antifascisme (électoral), n’est pas en reste. Sans remonter jusqu’à Mitterrand qui voyait d’un bon œil le développement d’un FN qui affaiblirait la droite « classique », on se souviendra que la première accession d’un candidat d’extrême droite au second tour de la présidentielle s’est faite après cinq ans de gouvernement de la « gauche plurielle » faits de trahisons et de déceptions, notamment dans les couches apportant traditionnellement leur soutien à la gauche réformiste. Hollande et Valls ont parachevé ce mouvement, non seulement en se moulant parfaitement dans le cadre de « gestion » néolibérale de la crise économique, mais aussi – et surtout – en faisant passer en force leur « loi travail » : un épisode antisocial particulièrement violent qui a provoqué de nouveaux « décrochages » et qui a contribué à délégitimer encore un peu plus l’idée même de la possibilité d’une autre politique, au service de la majorité de la population et sans mise en opposition entre les différents secteurs des classes populaires.

Gauche et droite ont ainsi, chacune avec leurs spécificités, contribué à la fois à banaliser l’extrême droite, son racisme, son autoritarisme, et à développer le désespoir au sein des classes populaires, ainsi que la perte de confiance dans le collectif. 40 ans plus tard, le FN/RN, qui a su prospérer sur ces phénomènes, se retrouve aux portes du pouvoir.

Construire une riposte unitaire

Face à ces dynamiques et aux menaces qu’elles représentent, qu’il s’agisse de l’hypothèse d’une victoire de l’extrême droite à la présidentielle, dont il n’est nul besoin de souligner la catastrophe qu’elle représenterait, ou d’un nouveau durcissement raciste-autoritaire en cas de nouvelle élection de Macron, l’heure n’est pas à tergiverser et la riposte doit être construite à plusieurs niveaux.

Il est urgent que l’ensemble des forces du mouvement ouvrier, de toute la gauche sociale et politique, se rencontrent pour envisager les modalités d’une réponse commune. L’heure n’est pas à la défense des intérêts de boutique ou à l’érection de frontières entre le social et le politique : nous sommes touTEs concernés, nous sommes touTEs ciblés, et le seul moyen de faire face à la dispersion, au sentiment d’isolement et au risque de la multiplication des actions violentes des groupuscules, est de nous retrouver pour discuter et construire des réponses communes, dans la rue, dans les lieux de travail, dans les quartiers, dans les universités.

La riposte passe également par le développement des mobilisations contre le chômage et la précarité, pour les salaires, en défense des services publics et de la protection sociale, en rappelant que sur ce terrain, sur lequel elle prospère, l’extrême droite demeure fondamentalement une alliée des classes dominantes. Il s’agit de se mobiliser aussi, avec force, en soutien aux première cibles des Zemmour et Le Pen : en défense des migrantEs, pour la régularisation des sans-papiers, contre le racisme et les violences policières, contre l’islamophobie, contre les résurgences de l’antisémitisme, contre les violences faites aux femmes, pour les droits des ­personnes LGBTI…

Défendre une politique radicale et décomplexée

Enfin, et c’est ce que le NPA a tenté de faire dans la campagne présidentielle, et continuera de faire avec toutes celles et tous ceux qui souhaitent le faire avec nous, nous ne devons pas céder aux pressions venues de la droite et de l’extrême droite et, partant, défendre avec vigueur et fierté des positions de gauche, radicales et décomplexées, sur l’ensemble des questions : anticapitalistes, écosocialistes, féministes, antiracistes, pour l’égalité des droits, internationalistes.

Cette radicalité n’est pas une posture mais une nécessité : le développement de l’extrême droite, son expansion, et le soutien que lui apportent de plus en plus de secteurs des classes dominantes, plongent leurs racines dans la longue dynamique de crise du système capitaliste à l’échelle internationale et dans l’incapacité des partis traditionnels de la bourgeoisie à assurer à la fois les contre-réformes nécessaires aux possédants et la stabilité politique face aux colères populaires. La réponse réactionnaire et violente que représente le fascisme n’est peut-être pas à l’ordre du jour des conseil d’administration du CAC 40, mais la tentation est de plus en plus forte d’y avoir recours chez les dominants en quête de « retour à l’ordre ».

Nous l’avons souvent dit : « Leurs avancées sont faites de nos reculs ». L’heure n’est donc certainement pas à reculer, à faire des compromis idéologiques ou à éviter les sujets qui fâchent dans l’espoir – réel ou fantasmé – de ne pas froisser tel ou tel secteur de l’électorat. Il s’agit donc de combiner à la fois unité d’action et radicalité des propositions politiques, le tout en défendant la perspective d’un autre monde, possible, nécessaire, urgent, débarrassé de l’exploitation et des oppressions. Renoncer à défendre cet autre monde et à proposer une réelle alternative politique, c’est renoncer à ­endiguer la menace fasciste.