S’il fait indéniablement parti de la maison Capital depuis sa naissance1, le Front national fait cependant figure d’enfant pour le moins instable quant à ses positions en matière d’économie.
Ultra libéral sous Le Pen père qui aimait à se faire photographier en compagnie du photogénique et néanmoins briseur de syndicat Ronald Reagan, alors président des USA, le FN amorce un virage (national) « social » sous l’égide de Bruno Mégret dans les années 1990 pour aboutir à un programme qui se veut carrément protectionniste depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête en 2011.
Fustigeant le « mondialisme », ce concept flou qui permet avant tout d’éviter de désigner le capitalisme, et tirant à boulets bruns sur « les entreprises du CAC 40 » – mais en se gardant d’envisager toute redistribution des richesses –, la dirigeante du FN entend également sortir de l’euro et rétablir des droits de douane. Cet interventionnisme, qui remet en question trente années de politiques d’une docilité exemplaire à l’égard des marchés financiers, est loin de susciter un enthousiasme débordant et unanime chez les grands dirigeants du Medef. Le FN n’est pas pour l’instant le parti du grand capital ! De Laurence Parisot qui nous décrit en 144 pages Un piège bleu Marine à Viviane Chaine-Ribeiro – possible successeur de Gattaz – qui annonce vouloir quitter la France en cas de victoire de Marine Le Pen, en passant par la quasi-totalité des spécialistes en la matière, force est de reconnaître que le programme économique frontiste – « un programme suicidaire pour la France » selon l’Usine nouvelle – fait l’objet d’un rejet massif des libéraux. Le grand patronat français est favorable à la mondialisation et demeure très hostile à toute forme d’encadrement des activités économiques par l’État.
Évolutions
Et pourtant, cette « défiance » semble cependant de moins en moins réelle. Tout d’abord, le patronat est loin d’être monolithique. Plus on descend dans la hiérarchie sociale des dirigeants d’entreprise et plus le FN devient populaire : le « cœur de cible » de l’électorat FN demeure ainsi affilié ou proche de l’U2P (Union des entreprises de proximité, ex-UPA) qui regroupe commerçants, professions libérales et auto-entrepreneurs, à l’instar de nombreux proches, élus ou cadres du parti d’extrême droite eux-mêmes dirigeants d’entreprises : Thibaut de la Tocnaye, Charles Perrot, Axel Loustau, certaines figures comme Mikael Sala et Jean-Michel Dubois étant aussi dirigeants de la CGPME (aujourd’hui CPME), le syndicat des petites entreprises. Bienveillant à leur égard, le FN a lancé ces derniers mois le cercle Cardinal (confié à Axel Loustau) à destination notamment des dirigeants de PME-PMI et le collectif Audace ciblant de jeunes chefs d’entreprise.
De plus, le FN est lui aussi loin d’être monolithique : si la ligne protectionniste défendue par Marine Le Pen et Philippot domine, Marion Maréchal Le Pen et son entourage demeurent quant à eux nettement plus libéraux. En témoigne l’accueil triomphal fait à Marion Maréchal Le Pen lors d’une manif de « travailleurs indépendants » contre le RSI en 2015. Autre illustration de ces sympathies ultra libérales : lors des débats parlementaires sur la loi travail, Marine Le Pen avait dû désavouer publiquement les sénateurs et députés FN (tous élus du Sud) qui avaient proposé des amendements aggravant encore la loi El Khomri dans le sens de la précarité des travailleurs, à l’inverse des discours officiels du FN.
Désir mutuel ?
Enfin, et peut-être surtout, l’accession inattendue de Trump au pouvoir aux USA mais également la place croissante de Marine Le Pen dans le paysage politique semble avoir accéléré un désir mutuel de rencontre FN-patronat. Contrairement aux refus qui constituaient la règle jusque-là, Pierre Gattaz a ainsi décidé le 16 janvier dernier d’inviter officiellement le FN à présenter ses thèses économiques devant les principales fédérations du Medef. La rencontre prévue début mars et tant attendue par Marine Le Pen – une consécration ! – a déjà été déminée par l’économiste libéral et eurodéputé frontiste Bernard Monot : « Le FN est l’ami de toutes les entreprises, du petit commerçant, au géant français du CAC 40 »2. Considérant une victoire de Le Pen comme une hypothèse à ne plus exclure, les grandes banques d’affaires3 et les grands gérants internationaux4 ont également pris les devants et accueillent désormais les conseillers économiques du parti d’extrême droite5
- 1. Les généreuses fées des ciments Lambert se penchent sur le berceau de Jean-Marie Le Pen à la mort d’Hubert Lambert en 1976 : la coquette somme de 30 millions de francs tombe alors dans les poches du leader du FN.
- 2. Cité dans le Figaro du 17 janvier 2017
- 3. JP Morgan, UBS...
- 4. Pimco, BlackRock...
- 5. Cf. article en anglais https ://www.bloomberg.com/politi…]. Si peu d’infos filtrent de ces rencontres, on peut d’ores et déjà affirmer que les classes populaires en sortiront perdantes.
Si nous n’en sommes pas encore à analyser les liens qui unirent « Fascisme et grand capital » tels que décrits par Daniel Guérin, ces rapprochements en prennent sérieusement le chemin.