« À partir du moment où nous avons mis l’accent sur l’économique et le social, nos scores n’ont fait que progresser »...
Philippot croit avoir trouvé la bonne recette démagogique qui ouvrirait au FN la route du pouvoir... Sauf que sa démagogie est une tromperie à l’égard des classes populaires comme elle est loin de gagner la confiance des classes dominantes que les petits politiciens arrivistes du FN rêvent de servir.
Étatiste ou libéral ?
Pour accéder au pouvoir, le FN doit être crédible vis-à-vis des classes dominantes. Il doit faire la démonstration de sa capacité à mener une politique qui réponde à leurs intérêts, à apparaître comme un possible « parti de gouvernement » non seulement vis-à-vis de ceux qu’il aspire à servir mais aussi vis-à-vis de l’électorat dont il a besoin.
C’est le sens de ce que Marine Le Pen appelle la professionnalisation qui vise à attirer des jeunes type énarques ambitieux dont Philippot est le prototype, d’où aussi sa politique de gagner des mairies, d’avoir des petits notables qui feraient la démonstration de sa capacité à aller aux affaires pour gérer les intérêts de la bourgeoisie. Sauf que les préjugés flattés par les démagogues pour dévoyer le mécontentement populaire ne rentrent pas nécessairement en accord avec la politique de la grande bourgeoisie et des multinationales.
Les politiques libérales pourraient s’accommoder de « l’étatisme » affiché par le FN. « L’État stratège, c’est du de Gaulle. Je veux bien que ça effraie des gens de droite, mais moi, je crois que ce qui les effraie, c’est la caricature qu’on donne de notre programme, ce n’est pas sa réalité », dixit Marine Le Pen. Certes mais plus compliquée est la question de la sortie de l’euro.
Parier sur l’effondrement de l’UE
La dénonciation du « libre-échangisme mondial » s’accompagne de l’exigence de « la sortie de l’euro et de l’Union européenne ». Cette politique chauvine misait sur l’effondrement de la zone euro. Aujourd’hui, la crise est momentanément plus ou moins maîtrisée, l’effondrement à court terme moins probable, et surtout le Medef ne se situe pas dans cette perspective.
Le rétablissement des droits de douane, la réunion d’un sommet de l’Eurogroupe pour une sortie concertée de l’euro, la réintroduction du franc, ou une nationalisation partielle des banques de dépôt, ne font pas partie aujourd’hui des projets politiques des classes dirigeantes. Au stade actuel, le populisme économique du FN, rejetant pêle-mêle les élites, l’ensemble des représentants de « l’idéologie mondialiste » et les « syndicats politisés », ruine sa crédibilité de potentiel parti de gouvernement.
À géométrie variable
C’est cette difficulté du FN à donner de lui-même l’image crédible d’un parti de gouvernement dont se sert Sarkozy pour se poser en seul opposant capable à la fois de reprendre la démagogie xénophobe de Le Pen tout en défendant une politique répondant aux intérêts du grand patronat et des banques. « Aux artisans exaspérés par les charges, je voudrais dire qu’il y a deux personnes qui veulent augmenter les charges, augmenter déraisonnablement le Smic, c’est M. Mélenchon et Mme Le Pen. Aux retraités qui se posent des questions sur l’avenir de leur retraite, je veux dire qu’il y a deux personnes qui veulent revenir à la retraite à 60 ans, c’est la gauche et eux. Qui veut sortir de l’euro, de l’Europe ? Mme Le Pen ! »
Cette dernière répond en modulant sa propre politique : « Notre Europe va de l’Atlantique à l’Oural, pas de Washington à Bruxelles », en plaidant pour « une coopération nouvelle entre les nations ». En bons démagogues avides du pouvoir, les dirigeants du FN peuvent fort bien demain moduler leur politique pour l’adapter aux besoins de la bourgeoise mais ce ne serait possible que si la crise s’accentuait au point que la bourgeoisie se sente menacée. Un État fort hostile aux travailleurs et aux classes populaires pourrait se combiner avec une politique européenne associant nationalisme et défense des dites valeurs de l’Occident... Ce que défendait Le Pen dans les années 60.
Aujourd’hui, la bourgeoisie n’a pas besoin d’une telle politique, Hollande ou Sarkozy font le job. D’où les difficultés que rencontre le FN en se confrontant à ses limites et à la crise qu’il connaît : le conflit entre les arrivistes pressés, dont Marine Le Pen a ouvert les appétits, et les fondements traditionnels de l’extrême droite.
Yvan Lemaitre