Le programme du RN fait froid dans le dos tout comme sa capacité à le mettre en œuvre. La 5e République est connue pour son fait majoritaire, c’est-à-dire le fait que les élections législatives qui suivent l’élection présidentielle donnent toujours une majorité au ou, en l’occurrence, à la présidente. Il en ira de même pour Marine Le Pen.
Des contre-pouvoirs ?
La Haute fonction publique a pour habitude de suivre le sens des décisions politiques, et la progression de l’extrême droite notamment de Zemmour dans les sphères qui la composent nous informe que certains le feront même avec plaisir. Enfin le cœur de l’appareil d’État, les forces de répression, sont gagnées à la politique du RN et n’auront aucun mal à lui garantir le plein exercice du pouvoir.
Restent les contre-pouvoirs représentés par la justice, la Constitution et l’Union européenne. Marine Le Pen a déjà donné sa stratégie sur ce point : l’adoption d’un projet de loi par référendum. Il s’agira donc de recourir au soutien populaire pour venir d’une part avaliser sa politique raciale, écraser la contestation interne par le biais de cette victoire politique et se donner de nouvelles marges de manœuvre au sein de l’Union européenne et du marché commun. Le reste du cadre de l’État de droit offre déjà des possibilités répressives très larges.
L’arrivée au pouvoir dans une semaine de Marine Le Pen ne signifierait donc pas l’entrée dans un régime fasciste mais l’ouverture d’une phase de lutte aiguë dont l’issue pourrait être un écrasement de notre camp. Pour mener cette lutte, l’extrême droite pourrait compter d’une part sur l’appareil d’État et la recomposition d’un bloc national largement influencé par ses idées, comme la montré le meeting de Valeurs actuelles ayant rassemblé Reconquête, LR, LREM et le RN, ou encore l’appel à voter contre Macron d’Éric Ciotti. On voit difficilement comment Blanquer, Darmanin ou Marlène Schiappa viendraient constituer une opposition au RN.
La dynamique fasciste
Mais surtout nous ne devons pas oublier que Marine Le Pen et son entourage sont des fascistes. Cela implique qu’ils n’hésiteront pas à développer des éléments de mobilisation extra parlementaires pour mener à bien leur politique. Ils pourront compter pour cela sur Reconquête qui vient de se construire, sur les autres groupes d’extrême droite notamment l’Action française qui ne peut jouer un rôle politique de masse mais pourrait servir d’ossature.
Enfin elle pourra surtout compter sur la nébuleuse fasciste violente qu’on peut estimer entre 300 et 600 personnes au niveau national. Le mode hooligan a-partisan de ces groupes constitue une double force. Il permet d’une part d’offrir une structure a-partisane capable de regrouper tous ceux qui voudraient terroriser toutes celles et ceux qui voudraient s’opposer au référendum. Et cette structure partisane n’entachera pas directement de responsabilité la présidente. Il faut encore lui ajouter les individus voire les groupes qui s’entraînent au maniement des armes et préparent des attentats terroristes.
Le déblocage de Sciences po par 20-30 militants de l’AF et de Génération Z, le 14 avril, est une bonne illustration de ce qui peut nous attendre par la suite. De petit groupes de militants de droite radicalisés, encadrés par des fascistes, qui s’en prennent aux tentatives de résistance menées par un mouvement ouvrier affaibli, divisé et désorganisé. Une telle situation risquerait de tourner à l’avantage des fascistes mieux préparés, mieux organisés et portés par une dynamique politique. Il y a donc urgence à unifier nos forces pour faire face, retrouver une dynamique politique et militante en ce sens. Mais il nous faut aussi reconstruire nos capacités d’autodéfense – ce qui ne s’improvise pas.
Enfin, le fait que les forces de l’ordre soient gagnées à l’extrême droite leur garantira renseignements et impunité. Non seulement nous avons déjà expérimenté les situations dans lesquelles les flics relâchent les fascistes mais nous savons également maintenant que des flics, y compris des corps d’élite (le RAID notamment), participent au service d’ordre de Reconquête.
Ce n’est pas parce que les fascismes italien et allemand se sont constitués selon les phases de guerre civile, institutionnalisation en vue de la conquête du pouvoir et épuration dans le cadre de la dictature fasciste, que le fascisme en France suivra nécessairement les mêmes formes.