Publié le Mercredi 30 novembre 2022 à 08h50.

Entretien : « 54 % des personnes vivant avec le VIH sont des femmes »

Eva, chargée de plaidoyer sur le travail du sexe à Act Up-Paris, résume les enjeux des combats contre le VIH-sida, notamment auprès des personnes se définissant comme travailleurEs du sexe.

Peux-tu nous présenter ce qu’est Act Up-Paris ?

Act Up-Paris est une association de lutte contre le VIH-sida fondée en 1989 par la communauté homosexuelle en réaction à l’épidémie qui provoquait à l’époque une hécatombe. La mission de cette association a été de faire entendre aux pouvoirs publics qu’il était urgent d’agir contre le sida.

Aujourd’hui, l’accès aux traitements a changé la vie des personnes séropositives. Il n’en demeure pas moins que dans certaines populations, notamment les plus discriminées, il y a toujours des risques importants de transmission du VIH. Et en France il arrive encore que certainEs découvrent leur séropositivité alors qu’ils et elles ont déjà développé un stade sida.

Que signifie de porter un plaidoyer au sein d’une association ?

Porter un plaidoyer, c’est à la fois enquêter, faire remonter un maximum d’informations du terrain et faire en sorte qu’elles soient entendues des différentes institutions. Cela peut être le Défenseur des droits, par exemple, mais aussi le Parlement ou des municipalités.

Pour résumer, mon rôle est de faire du lien auprès des associations de travailleurEs du sexe pour être bien informée de ce qu’il se passe, des actualités à faire entendre. Au moment de l’épidémie de Monkeypox, il a fallu alerter les pouvoirs publics sur la situation sanitaire et faire en sorte que les TDS puissent avoir une indemnisation.

Pourquoi est-il important de porter un plaidoyer spécifique aux personnes qui se définissent comme travailleurEs du sexe (TDS) dans la lutte contre le VIH ?

On voit aujourd’hui, après 40 ans de VIH, que les droits des TDS n’ont pas avancé mais ont reculé. De ce fait, les TDS sont très exposéEs aux transmissions de VIH et d’autres pathologies. Beaucoup de TDS ont des cancers du col de l’utérus dûs à des infections au papillomavirus. Ces cancers sont directement liés à des problèmes d’accès aux soins, notamment au dépistage, car ces populations sont malheureusement encore marginalisées en France.

Quelles sont les conséquences sanitaires et sociales de la loi de pénalisation des clients de 2016 ?

La loi du 13 avril 2016 visant à lutter contre le système prostitutionnel a été une catastrophe. Elle a eu des effets sur les finances des TDS. D’après une étude d’Hélène Le Bail et Calogero Giametta en 2018, 78 % des TDS ont vu leurs revenus, et donc leur pouvoir d’achat, baisser. Cela a eu un impact sur leur qualité de vie mais aussi sur leur santé car cela a affaibli leur pouvoir de négociation avec les clients. Si la personne n’est pas précaire, elle peut avoir le choix de refuser un type de clientèle, mais si c’est une personne qui n’a vu aucun client de la journée, afin de pouvoir payer son loyer, par exemple, elle aura tendance à accepter un client qu’elle aurait certainement refusé auparavant, et c’est en cela notamment que cette loi a pu avoir un impact sur la santé et la sécurité des TDS.

Dans cette étude, on observe que depuis cette loi 38 % des TDS affirment avoir des difficultés à imposer le port du préservatif. Cela s’explique par deux phénomènes. Le premier, c’est qu’il s’agit de personnes qui exercent dans la rue et qui sont chassées des centres-villes pour aller en périphérie (souvent aussi en raison d’arrêtés préfectoraux et/ou municipaux) ou bien dans des zones plus excentrées du bois de Boulogne ou de Vincennes. Les clients ont peur de la police. En conséquence, le temps de négociation du rapport est réduit, si bien que les clients peuvent imposer des rapports non protégés. Le deuxième phénomène, c’est que la situation de précarité des TDS les incite à accepter des pratiques à risque.

Chaque année le 1er décembre, une manifestation est organisée à l’initiative d’Act Up-Paris. Cette année le mot d’ordre est « Femmes et VIH », pourquoi ce choix ?

54 % des personnes vivant avec le VIH sont des femmes. Cette année, le mot d’ordre « Femmes et VIH » a été choisi parce qu’on constate que les femmes sont complètement invisibilisées dans l’épidémie. Pourtant, elles luttent aussi et ont besoin d’avoir accès aux soins, d’être ciblées dans les campagnes de prévention, dans les études, la recherche…

Par exemple, toutes les études sur la PrEP (prophylaxie pré-exposition) sont pensées par des hommes cisgenre pour des hommes cisgenre. C’est très bien mais il est nécessaire de prendre aussi en compte les femmes.

Propos recueillis par Diego Moustaki