Il faut résister à l’illusion d’optique selon laquelle la pandémie de Covid-19 serait derrière nous. Le lundi 8 juin, le directeur de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus annonçait ainsi, lors d’une conférence de presse, que la journée du 8 juin était celle du plus grand nombre de nouvelles contaminations recensées à l’échelle mondiale : « Bien que la situation en Europe s’améliore, dans le monde elle s’aggrave ». L’OMS confirme en outre ce qui a été visible dans les pays les plus durement touchés par la pandémie jusqu’à présent : partout dans le monde, les classes populaires et les femmes sont en premières ligne.
Inégalités sociales face à l’épidémie
De la France au Brésil en passant par les États-Unis, les chiffres sont sans appel : au sein d’un pays donné, les plus pauvres sont davantage touchés par le virus, et en meurent davantage. Nous l’avons déjà évoqué dans nos colonnes : ce n’est pas un hasard si la Seine-Saint-Denis a connu une surmortalité beaucoup plus élevée que les départements voisins (+ 130 % sur les mois de mars et avril, soit deux fois plus qu’en Seine-et-Marne ou dans les Yvelines). En Grande-Bretagne, les autorités sanitaires annonçaient début mai que le taux de mortalité lié au Covid-19 était de 55 pour 100 000 dans les zones les plus pauvres, contre 25 pour 100 000 dans les zones les plus riches. Aux États-Unis, où la collecte de statistiques ethniques est une pratique courante et montre à quel point inégalités sociales et inégalités raciales sont intimement liées, les noirs ont deux fois plus de risques que les blancs d’être touchés par le Covid, et trois fois plus de risques d’en mourir.
Ces inégalités sociales face à l’épidémie résultent de différents facteurs : moins bon accès à la santé, risques de comorbidité plus élevés, plus importante exposition au virus… Les travailleurEs de « première ligne » cumulent en effet, sauf exceptions, le fait d’exercer des activités professionnelles qui ne pouvaient être confinées avec une santé plus dégradée (diabète, obésité, hypertension artérielle…) et un moindre accès aux services de santé et/ou à la couverture maladie. Selon les chiffres de l’Ined, en France, 41 % des travailleurEs dont le revenu se situe dans le quartile inférieur (au plus 1 350 euros net par mois) appartenaient au groupe le plus fortement exposé à la contamination du fait de l’activité professionnelle, contre 12 % de celles et ceux dont le revenu se situe dans le quartile supérieur (au moins 2 750 euros). Et l’on retrouve le même type de chiffres dans la plupart des pays : le Covid-19 est venu se « greffer » aux inégalités déjà existantes, et les a renforcées.
Inégalités de genre
Parmi ces inégalités, celles entre hommes et femmes sont particulièrement marquées. Les femmes se sont ainsi retrouvées en première ligne face à l’épidémie, particulièrement exposées du fait de l’inégale répartition genrée des activités professionnelles. En France, les chiffres sont là encore sans appel : 88,2 % des aides-soignantEs sont des femmes, tout comme 86,6 % des infirmierEs et 89 % du personnel des EHPAD ; les femmes représentent en outre 87,8 % des caissierEs et 84,5 % du personnel des services directs aux particuliers, dont les aides à domicile. Autant de professions qui ont été particulièrement exposées, et qui continuent de l’être, et auxquelles s’ajoutent, avec le déconfinement, d’autres métiers au contact du public, à l’image des vendeurEs dans les magasins, qui sont à 70,3 % des femmes.
Ces chiffres se retrouvent, là encore, au niveau international, et se combinent aux éléments évoqués plus haut (accès à la santé, moindres revenus, etc.), faisant des femmes une catégorie particulièrement exposée au virus même si, pour diverses raisons que les scientifiques n’ont pas toutes établies (moindres risques de comorbidité, meilleure immunité), il y a une surreprésentation des hommes parmi les cas graves et donc au niveau de la mortalité. Ce qui ne signifie nullement qu’elles ne figureront pas, et ne figurent pas déjà, parmi les premières victimes « indirectes » du virus, avec notamment l’accroissement des violences de genre et les conséquences de la crise économique et sociale, qui frappe plus durement les plus précaires, et donc les femmes.
Autant d’éléments qui confirment ce que nous affirmons depuis le début de la pandémie : ceux qui prennent les décisions ne ressemblent guère à celles et ceux qui sont en première ligne, dans tous les sens du terme, face au virus, et qui seraient pourtant les mieux placéEs pour savoir ce qui est bon pour la grande majorité d’entre nous, et non pour une petite minorité.