Publié le Jeudi 10 novembre 2016 à 09h11.

« En opposition à un système dévitalisant, déshumanisant »

Tribune. Association d’étudiants un peu paternalistes créée en 1976 avec la bienveillance du pouvoir, le Genepi est aujourd’hui une organisation forte de 1 200 bénévoles, étudiantEs pour la plupart, qui au fil de ses assises annuelles, prend des positions toujours plus critiques dans un climat où son indépendance à l’égard de l’administration pénitentiaire est menacée.

C’est ainsi que, refusant récemment de participer aux politiques de lutte contre la radicalisation, le Genepi a pu répliquer que « la lutte contre la radicalisation n’existe que dans les rêves de celles et ceux qui croient à une France unique, policée et lissée », affirmant que « le Genepi en tant qu’association militante et politisée est par nature radical, parce qu’il refuse un ordre établi qu’il est prêt à dénoncer et à combattre »...

Pour marquer le 40e anniversaire de l’association, Passe-Murailles, sa revue, a publié des témoignages de personnalités et d’anciens génépistes. Avec son aimable autorisation, nous reproduisons celui de Gabi Mouesca, ancien membre d’Iparretarak qui a passé 17 ans ans en détention. Ancien président de l’Observatoire international des prisons (OIP), il est aujourd’hui permanent d’Harrera, structure d’aide à la réintégration ds prisonniers politiques basques.

 

«Voilà trente ans que j’ai rencontré pour la première fois un membre du Genepi. C’était à la maison d’arrêt de Pau. Il s’appelait Jean-Michel Apathie (chroniqueur politique sévissant sur les plateaux télé et radios). Depuis lors, j’ai toujours vécu un compagnonnage de proximité avec le Genepi. Dedans, puis hors les murs.

Vous êtes nés des suites de révoltes en prison. Vous n’êtes pas nés d’une quelconque marque de bonne volonté de quelques politiciens, mais bien nés des suites de la révolte légitime d’hommes et de femmes n’acceptant plus d’être maltraités, considérés comme des êtres de seconde zone. C’est dans l’ADN même de votre association que se trouve la subversivité que le temps qui passe n’a cessé de renforcer. En apportant à chaque personne que vous rencontrez intramuros votre simple humanité, en incarnant ce lien entre le dedans et le dehors, en étant présent dans un partage de savoir, d’expérience, de questionnement, vous êtes dans l’anti-prison, dans une action éminemment subversive.

Je sais, pour en avoir rencontré année après année, que nombreux sont les Génépistes qui sont traversés par le doute et taraudés par cette éternelle question : « suis-je un collabo ? ». Je vous invite à vite ravaler cette question. Elle n’a pas lieu d’être. L’entraide fraternelle, la solidarité immédiate n’empêche pas en parallèle l’engagement, citoyen, politique, qui lui, peut – et doit – concourir aux changements auxquels nous espérons et militons. L’acte de fraternité dont chaque Génépiste témoigne à chacune de ses rencontres avec une personne détenue est éminemment un acte politique, citoyen. Votre présence en détention aux côtés des personnes détenues est un engagement clair en opposition à un système dévitalisant, déshumanisant.

Trois décennies que je pratique le Genepi. Je puis témoigner de l’évolution constante de l’association. J’ai vu un Genepi de plus en plus mature, de plus en plus politique. Avec des positionnements de plus en plus à la hauteur des enjeux. Responsables et donc courageux. Avec des prises de position, non idéologiques mais construites au contact de la vérité carcérale. Une association militante, composée de jeunes citoyenNEs et citoyenNEs engagéEs. J’ai rencontré nombre de militantEs du Genepi qui ont porté et portent tel un étendard, l’exigence du respect de la dignité et des droits de toute personne détenue. Ces personnes sont précieuses car elles incarnent la citoyenneté dans l’action, en des temps où des vents mauvais soufflent de plus en plus fort dans les coursives comme dans les rues de nos villes et villages.

Autre trait remarquable et remarqué du Genepi, la formation de ses membres. Une formation riche et joyeuse. Comment ne pas évoquer la Journée Prison Justice (JPJ). Temps et lieu de convergence des savoirs, des expériences, le lieu en France où, quelques heures durant, la prison n’est pas synonyme de division, de cloisonnement, mais de rencontres, d’échange, de libre expression, de richesse partagée. Je repars toujours des JPJ irradié de joie grâce aux centaines de visages souriants rencontrés l’espace de quelques heures.

Je n’oublie pas non plus ces échanges avec des Génépistes habités par l’idéal abolitionniste. Oui, l’humanité ne fera pas l’économie de ce sursaut de dignité, car comme toute monstruosité créée par la main de l’homme, elle trouvera d’autres mains pour la démonter brique par brique.

Génépistes d’hier et d’aujourd’hui, vous avez apporté et apportez à des êtres en souffrance, ce qu’un être humain peut apporter de plus essentiel ; une présence, tout simplement fraternelle. Je vous le dis, vous êtes précieux, comme l’est chaque goutte d’eau lors d’une traversée du désert.

Que souhaiter au Genepi ? Que chacun de ses membres soit respecté – dans sa dignité, dans ses droits – dans le cadre de son intervention intramuros. Que votre action de sensibilisation auprès de nos concitoyens touche le cœur et la conscience du plus grand nombre, car l’indifférence de certains et la vision ultra procarcérale de beaucoup, donnent à notre société un visage hideux, celui de la barbarie moderne.

La fraternité peut tordre le cou à toutes formes de barbarie. Vous en êtes de par votre action la merveilleuse démonstration. Le 40e anniversaire du Genepi n’est pas seulement l’occasion de rendre hommage à cette foultitude de jeunes qui ont consacré de leur temps, de leur compétence à des personnes détenues, c’est l’occasion d’affirmer avec force les valeurs d’humanité, tout en faisant l’apologie de l’engagement citoyen, l’engagement militant ! »