Autour des 16 et 17 mars, à l’annonce des mesures de confinement du gouvernement, plusieurs équipes syndicales, un peu partout en France, ont utilisé des droits d’alerte pour danger grave et imminent compte tenu du positionnement de directions d’entreprise peu enclines à suspendre leurs activités. Deux mois après, en pleine phase de déconfinement, et alors que les mesures de prévention sont loin d’être à la hauteur, les luttes collectives « pour ne pas perdre sa vie à la gagner » ont malheureusement du mal à éclore.
« Attendre le jour d’après » ?
Lundi 11 mai, nous étions environ 80 à être rassembléEs devant la préfecture de Seine-Maritime à Rouen pour dénoncer la politique criminelle du gouvernement Macron et de ses prédécesseurs et pour y scander « Pas de masques, pas de protection, pas de travail ». MilitantEs de la CGT de différentes professions se succèdent au micro pour décrire les situations de travail vécues depuis la mi-mars dans le commerce, les transports…. ou pour décrire à quoi va ressembler la rentrée intermédiaire dans l’éducation nationale. En ce premier jour de déconfinement où les rassemblements sur la voie publique sont limités sur le papier à 10 personnes, il y a aussi des camarades de Solidaires et des Gilets jaunes qui trouvent ici un cadre collectif pour exprimer leur colère.
Si ce rassemblement symbolique, sans intervention des forces de l’ordre, est considéré comme un succès par des militantEs d’autres départements où les syndicats n’ont rien voulu faire le 11 mai, cela ne doit pas cacher les difficultés importantes qui perdurent dans l’interpro. L’appel, lancé par l’UD CGT 76, l’a été après des débats compliqués en interne. Pour certains, la CGT doit « attendre le jour d’après » pour agir, pour d’autres on ne peut pas appeler à un rassemblement alors qu’on exige le report de la reprise d’activité dans les secteurs non essentiels sans compter ceux qui ont « peur du ridicule » avec un rassemblement par paquets de dix, très loin des manifestations du 5 décembre dernier.
Pressions multiples
Du côté des sections syndicales d’entreprise, les choses ne sont pas simples non plus. Hormis quelques équipes qui bataillent depuis des semaines pour l’obtention des protections collectives et individuelles comme dans la santé ou le commerce, on a l’impression que le Covid-19 a mis en sommeil une activité syndicale souvent dynamique en amont dans la lutte contre la réforme des retraites.
Dans le secteur de l’industrie, les réunions de CSE ou de CSSCT se sont multipliées courant avril en vue de la reprise d’activité pour les entreprises qui avaient suspendu leur production, ou pour produire de façon plus soutenue dans les secteurs qui ont continué à produire comme la chimie ou le pétrole. Si les syndicats ont dénoncé à juste titre des reprises prématurées ou des mesures de prévention insuffisantes, cela s’est rarement transformé en bagarre collective pour la mise en œuvre de droit de retrait.
Il faut dire que la pression est forte. Alors même que les salariéEs peuvent s’appuyer sur les recommandations de l’académie de médecine qui indique qu’il faut a minima deux mètres de distance physique, sur les notices des masques chirurgicaux ou « grand public » qui indiquent généralement que « ce masque ne protège pas le porteur », sur l’insuffisance des mesures de désinfestation par produit virucide dont la fréquence est souvent quotidienne en pratique alors que le guide BTP validé par le ministère du Travail insistait sur un nettoyage toutes les deux heures, la pression cumulée des ministres et des patrons, relayée par les médias, dissuade en pratique une large partie de la classe ouvrière d’utiliser son droit légitime de « se retirer » d’une « situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé… » 1
Des lieux de travail… aux tribunaux
Si plusieurs syndicats indiquent de façon régulière dans leurs publications que les salariéEs peuvent utiliser leur « droit de retrait », peu de syndicats mènent une véritable campagne pour l’exercice réel d’un droit de retrait engagé le plus collectivement possible. En pratique, on peut constater plusieurs positionnements, certains syndicats poussent les déléguéEs à une présence sur le terrain pour constater les manquements de l’employeur en termes notamment de protections collectives, quand d’autres restent à distance….
Face à une situation où certains représentantEs du personnel sont interdits de pouvoir se rendre dans les ateliers ou dans les établissements distants de plus de 100 km, le recours à la voie judiciaire représente souvent une procédure alternative pour tenter de rééquilibrer un rapport de forces insuffisant. Face à un gouvernement et un patronat qui s’assoient sur le code du travail et les mesures de prévention, le recours à des procédures de référé judiciaires qui rappellent les patrons de Renault ou d’Amazon à leurs obligations peuvent être des points d’appui.
Nos vies valent plus que leurs profits
Dans les jours qui viennent, il est indispensable que les équipes syndicales combatives soient présentes sur le terrain pour constater les situations de travail réelles, pour alerter sur les manquements de l’employeur, pour pousser à la mise en œuvre de droits de retrait collectifs. Mais dans une période où les menaces sur l’emploi sont extrêmement fortes, où la question de la reprise de l’économie est dans toutes les bouches, nous devons combattre l’idée d’une possible conciliation entre la santé des travailleurEs et la santé des profits capitalistes. L’histoire du combat sur la question de l’amiante nous démontre que les syndicalistes doivent faire un choix douloureux, accepter de discuter avec le patronat sur un compromis entre santé au travail et maintien d’un niveau de profitabilité pour les capitalistes ou alors camper sur une position dite radicale « Nos vies valent plus que leurs profits », s’appuyant sur une volonté de faire le lien entre protection de santé des travailleurs et travailleuses et lutte contre le système capitaliste.
- 1. Article L. 4131-1 du code du travail.