Publié le Dimanche 8 mai 2016 à 12h58.

Printemps 2016, Mai 68, même combat ?

L’idée d’un nouveau Mai 68 est dans l’air, « un nouveau Mai 68 qui aille jusqu’au bout ». La combinaison des luttes du monde du travail, de la révolte de la jeunesse et du mouvement de contestation Nuit debout semble en rassembler les ingrédients...

«Il faut arrêter de comparer. Chaque génération a le droit à sa révolte. Plaquer un modèle historique sur une révolte, c’est ne pas voir l’actualité », dénonce Cohn-Bendit. Il faut dire que celui qui avait su incarner l’insolence de la contestation étudiante est depuis passé de l’autre côté de la barricade. Certes, le mouvement actuel n’est pas la reproduction de Mai 68. L’histoire se répète bien rarement, mais elle écrit ses rythmes et ses ruptures. Agir, c’est les décrypter pour ne pas être dominé par l’actualité, se projeter dans l’avenir du point de vue de la lutte pour la transformation révolutionnaire de la société, essayer de comprendre ce que sera ou pourrait être « l’étape de demain ».

Périodes de rupture

Mai 68 est né du blocage de la société. La jeunesse étouffait sous la tutelle des mythes de la Résistance et des préjugés réactionnaires ayant pris le visage du pouvoir gaulliste, pouvoir qui tentait de sortir l’impérialisme français de la période coloniale dont il avait été contraint de tourner la page. Elle avait grandi à travers les sales guerres coloniales, la guerre d’Algérie, l’OAS, l’ambiance de la guerre froide, alors que la classe ouvrière à peine sortie des sacrifices de la guerre puis de la reconstruction se voyait privée des fruits de son travail.

Et déjà les « trente glorieuses », bien mal nommées, avaient épuisé leur dynamisme, l’économie capitaliste entrant dans une crise qui depuis n’a cessé de s’approfondir.

Blocage et régression

Aujourd’hui nous sommes au cœur d’une rupture de même nature mais dans un contexte différent. La société est non seulement bloquée mais l’avenir apparaît comme une régression sans fin. Inégalités, chômage, précarité, guerres, crise écologique, sont perçus à juste titre comme des caractéristiques même du système, non ses excès qu’il faudrait corriger mais les produits de sa nature même, aussi monstrueux qu’elle.

De nouvelles aspirations se forgent en révolte contre les partis institutionnels : sortir de la précarité et du chômage, jouir des progrès, prendre sa vie en main, la société, faire vivre la démocratie alors que tout est sous le pouvoir du grand patronat et des banques, rompre avec la logique de la mondialisation financière dont l’unique souci est de transformer l’humanité en un immense marché au profit d’une poignée de richissimes.

Une contestation par-delà les frontières

Comme en Mai 68, cette contestation s’inscrit dans une rupture qui s’opère à travers le monde à la suite de la grande crise de 2007-2008 et dont la première impulsion est venue du printemps arabe. Chacune de ses manifestations prend un aspect spécifique mais chacune est aussi dans la continuité du mouvement Occupy Wall Street ou des Indignés d’Espagne... Si le mouvement est bien moins puissant que ne le fut 68, il est amené à devenir plus radical et plus profond au sens où c’est bien la globalité du système qui est contestée.

Cette rupture intervient dans un contexte de recul politique qui se retrouve dans les difficultés à construire la grève. Mai 68 avait redonné vie aux idées révolutionnaires marginalisées par la contre-révolution stalinienne, tout semblait possible, mais le recul a continué son travail dévastateur. Aujourd’hui de nouvelles possibilités se dégagent : « Rêver le monde pour mieux le construire » ou plutôt penser le monde pour mieux le transformer…

Yvan Lemaitre