Chamboulant les agendas des organisations politiques, bousculant les conservatismes les plus enracinés, l’irruption des mouvements sociaux sur la scène publique pose aux révolutionnaires un questionnement permanent sur leur utilité, leur légitimité, et la place qu’il leur est échue. « Visionnaires » illuminés, dix pas en avant des masses, simples accompagnateurs acritiques... ou participants à égalité avec des milliers d’autres.
La plus grande erreur que pourraient faire les anticapitalistes par leur intervention dans le mouvement Nuit debout, serait de penser qu’ils n’ont rien à apprendre « des autres ». Que leur engagement militant permanent et leur culture politique les exonéreraient d’interroger leurs certitudes et leurs recettes. Chaque expérience possède sa propre dynamique, ses rythmes de politisation et progresse (ou pas) dans ses capacités à répondre aux questions et aux défis qui lui sont en permanence posés.
Nuit debout n’échappe pas à la règle, et a su en quelques jours seulement se doter d’instruments de contrôle et de gestion collectifs lui assurant une continuité de l’occupation de la place de la République, et la tenue quotidienne d’assemblées générales de très bonne qualité. Des commissions se sont constituées : elles posent les jalons d’une autre forme démocratique d’une société débarrassée du capitalisme. Au fil des jours, les débats sont plus précis : des questions telles que le rapport à la violence, l’oppression et l’exploitation spécifiques des femmes, le refus du machisme et des propos sexistes, la parité des interventions à la tribune, la solidarité avec les migrantEs et sans papiers, l’écosocialisme... sont chaque jour traitées.
Ni donneurs de leçons, ni « récupérateurs », ni spectateurs
L’alternative à la politique des organisations traditionnelles et aux échéances institutionnelles se traduit par une véritable volonté d’émancipation. Quoi qu’on puisse en penser, la mise en place d’une commission planchant sur l’établissement d’un projet d’assemblée constituante, si elle n’est aujourd’hui qu’une utopie, indique les préoccupations riches pour l’avenir d’un mouvement qui désire vraiment transformer de fond en comble la société et en finir avec le système capitaliste.
Alors laissons les prédictions auto- réalisatrices à celles et ceux qui espèrent avant tout frileusement voir le mouvement rentrer dans leurs grilles de lecture et leurs certitudes inoxydables... Les révolutionnaires ne doivent nourrir aucun complexe, et se sentir parfaitement à l’aise dans le mouvement. Ni donneurs de leçons, ni « récupérateurs », ni spectateurs, nous devons nous jeter sans recul dans un des épisode les plus enthousiasmants depuis bien longtemps.
Quelle que soit l’issue de l’importante bataille pour le retrait de la loi travail, les milliers de jeunes et moins jeunes qui ont goûté aux joies de l’émancipation, de la réappropriation des places publiques, de l’apprentissage de la démocratie directe, en sortiront plus forts, plus déterminés, et plus que jamais décidés à continuer le combat.
Alain Pojolat