Publié le Mercredi 9 décembre 2020 à 12h05.

Féminisme et laïcité, un combat commun mais une histoire compliquée

Certains voudraient les opposer mais le combat pour la séparation de l’Église et de l’État ne peut que servir la cause des femmes.

Toutes les religions ont défendu des idées hostiles aux droits des femmes. Avortement contraception, homophobie, divorce, la liste est longue mais constante à travers les siècles et les continents.

Une histoire contrariée

La bourgeoisie et les forces réactionnaires ont toujours fait alliance avec l’Église, pour maintenir la domination patriarcale.

En 1789, la Révolution proclame le principe d’égalité de tous et toutes devant la loi. Le mariage n’est plus un sacrement, il devient un contrat civil (1791). Les femmes y gagnent une part d’égalité avec les hommes et de liberté pour lesquelles elles ont combattu âprement. Le divorce, interdit par l’Église jusque-là, est acquis le 20 septembre 1792 ; dans les familles l’héritage sera partagé à égalité entre les filles et les garçons ; les enfants nés hors mariage seront reconnus.

Mais la brèche est vite refermée. Avec le Code Napoléon (1804), les femmes sont renvoyées à un statut de mineures. Le divorce est à nouveau interdit (1816). Le même code, dans la partie pénale, instaure l’adultère de la femme comme un délit passible de prison, alors que le crime du mari sur sa femme adultère est « excusable » (article 324 dit « article rouge »)1. C’est la consécration de la domination masculine.

L’article rouge ne sera supprimé du Code pénal qu’en 1975, tandis que la loi de 1920 criminalisant l’avortement perdurera tout au long du 20e siècle !
Ainsi, si la loi de séparation de l’Église et de l’État a ouvert la voie, elle n’a pas été suffisante pour garantir aux femmes un statut d’autonomie juridique, de citoyenne. Tout ce que les femmes ont eu, elles l’ont acquis par les luttes.

Les années 1970 et la « libre disposition de son corps »

Dans la foulée de Mai 1968, les féministes s’organisent. De la contestation des guerres impérialistes à la libération sexuelle ; de l’anti-autoritarisme à la critique des institutions, en premier lieu la famille, les femmes disent haut et fort « mon corps m’appartient ». Le mouvement féministe dit « de la deuxième vague » a mis au centre de la lutte la question de la maîtrise du corps des femmes par elles-mêmes. Elles ont ainsi remis en cause un des piliers du patriarcat et des dogmes religieux qui les reléguaient à une place de femmes soumises au sein de la famille.

C’est le procès de Bobigny, la pratique publique des avortements par le Mouvement de libération de l’avortement et de la contraception à la simple demande des femmes… qui ont obligé le gouvernement de droite de Giscard d’Estaing à légiférer.
Mais, sous la pression de la droite soutenue par la hiérarchie catholique, la loi de 1920 ne fut pas alors abrogée et, cerise sur le gâteau, Mitterrand, élu président en 1981, comptait repousser sine die le remboursement de l’avortement au nom de l’austérité et du respect des différentes « familles spirituelles du pays » ! C’est la pression de la mobilisation qui l’a obligé à céder.

Laïcité dévoyée, féminisme instrumentalisé à des fins racistes

L’aube du 21e siècle voit le reflux du mouvement ouvrier, l’accroissement du chômage, de la pauvreté, le renforcement de la ghettoïsation d’une partie de la population la plus pauvre, une montée du racisme. Les attentats suicides contre le Pentagone et le World Trade Center aux États-Unis en 2001 vont accentuer un basculement vers la droite et la montée de l’extrême droite.

Dans ce contexte le port du foulard à l’école devient un symbole qui va diviser la gauche, l’extrême gauche, le milieu enseignant et les féministes.
Puis vont venir la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, suivie de la loi de 2010 interdisant la burqa dans l’espace public. Puis toutes sortes d’initiatives vont être prises par des institutions ou des élus au nom de la laïcité ou du féminisme mais qui n’ont rien à voir avec l’une ou l’autre, telles l’interdiction des mamans voilées dans les sorties scolaires ou l’interdiction de se baigner en burkini.

Cette double instrumentalisation de la laïcité et du féminisme par la droite, l’extrême droite et une partie de la gauche va ouvrir la voie à un déchaînement islamophobe ciblant principalement les femmes musulmanes, jusqu’à des agressions physiques dans la rue.
Au nom d’une laïcité et d’un féminisme dévoyés, les médias privilégient la parole de pseudos féministes telles Ni putes ni soumises, Élisabeth Badinter, etc.
Le mouvement féministe, déjà affaibli, éclate et perd son unité. Les clivages s’installent durablement et donnent lieu à des tensions violentes entre féministes.

Un nouvel espoir ?

Avec le double mouvement de #Metoo et des mobilisations de masse dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Algérie, Espagne, Italie, Belgique, Irlande, Pologne… pour le droit à l’avortement, contre toutes les violences sexistes et sexuelles, une nouvelle génération de féministes se lève pour conquérir de nouveaux droits.
Elles sont intersectionnelles, elles lient d’emblée la lutte contre les oppressions de genre, de classe et de race dans un monde de plus en plus « mondialisé ». Des chants chorégraphiés contre les viols, contre les féminicides font le tour de la planète en quelques jours et sont repris par des milliers de femmes et des minorités de genre.
C’est dans leurs luttes collectives et autonomes que les femmes s’émanciperont de la tutelle des religions et du patriarcat.

  • 1. Voir Mathilde Larrère, Rage against the Machisme, éditions du Détour, 2020.