Publié le Samedi 24 juin 2023 à 16h00.

La prison, comment s’en passer ?

Le défi, pour une organisation comme le NPA, c’est de tenter de comprendre les enjeux, de relayer les revendications des premiers concernés, de défendre des exigences démocratiques et, à terme, d’élaborer des positions programmatiques sur la prison. Cet article a pour seule ambition d’ouvrir le débat !

Les revendications des prisonniers

Le Comité d’action des prisonniers a sans doute produit ce qui se fait de plus complet, même si ça date un peu (1972 !). Cinquante ans plus tard, il n’est plus question d’organisation autonome de prisonniers portant ce type de programme, mais on peut tout de même constater que plusieurs points de leur cahier de revendications garde une pertinence et une actualité. Il faut appuyer les revendications des détenuEs, mieux, que le mouvement ouvrier doit reprendre à son compte : le droit au travail, avec des salaires et des conditions égales à « l’extérieur », le respect du droit du travail, le libre accès aux moyens d’information, le droit de réunion et d’association, la fin des incarcérations loin de chez soi, l’augmentation des droits de parloir ! La fin de la maltraitance, de l’isolement, la fin du mitard, ainsi que le refus de l’entassement dans des prisons surpeuplées...

Surpopulation : de pire en pire !

Selon l’AFP, le nombre de détenuEs a atteint un nouveau record historique au 1er mai 2023, avec 73 162 personnes incarcérées dans les prisons françaises pour un total de 60 899 places opérationnelles. La densité carcérale globale est donc supérieure à 120 % (données ministère de la Justice). Plus de 2 000 détenuEs de maisons d’arrêt dorment sur un matelas par terre ! La surpopulation carcérale chronique continue de s’aggraver, alors qu’elle a déjà valu à la France d’être condamnée en janvier 2020 par la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH). C’est insupportable pour les détenuEs, c’est inacceptable et indigne de laisser faire cela !

Plus qu’avant : pourquoi ?

Parce que la France et ses autorités répressives ont une culture particulièrement carcérale. La prison s’impose comme réponse pénale par défaut aux délits et aux crimes – c’est d’ailleurs sur le nombre d’années de prison encourues que se fait la différence entre ces derniers ! L’exemple le plus connu en est la possession et l’usage de stupéfiants qui rendent éligibles à la taule de très nombreuses personnes qui n’ont guère le profil du grand criminel…

De 1990 à 2020, le parc pénitentiaire a gagné 25 000 places, et la population carcérale a augmenté dans les mêmes termes ! Le problème de surpopulation n’a donc guère évolué en trente ans. La hausse du nombre de détenuEs, passant de 31 500 en 1982 à plus de 72 000 aujourd’hui, sans corrélation avec l’évolution démographique ou celle de la délinquance, s’explique par un durcissement des politiques pénales. On a pénalisé un nombre de plus en plus important de comportements (création des délits de racolage passif, mendicité agressive, occupation d’un terrain en réunion, occupation d’un hall d’immeuble, vente à la sauvette ou de maintien irrégulier sur le territoire, correctionnalisation du défaut de permis de conduire ou d’assurance, etc.)

S’ajoute à cela le développement de procédures, comme la comparution immédiate, qui aboutissent à un taux plus important de condamnation à de l’emprisonnement ferme (environ 70 %), à l’allongement de la durée des peines (de 2002 à 2018, la durée moyenne de détention est passée de 7,9 à 9,8 mois), au triplement des incarcérations pour de courtes peines de prison de moins d’un an ou de quelques mois (7 427 en 1980, 2020, 20 511 en 2020), soit 41,4 % de la population condamnée détenue, et des peines de plus en plus lourdes. En 1980, moins de 6 000 personnes étaient détenues au titre d’une peine de 5 ans de prison ou plus, en janvier 2020, elles sont 11 989.

Vider les prisons !

À l’occasion des campagnes présidentielles, la course à l’échalote de la démagogie sécuritaire amène la droite à rivaliser avec l’extrême droite, et la gauche de gouvernement à vouloir paraître responsable... Résultat de cet air du temps sécuritaire, l’idée que la solution passe par la construction de toujours plus de places de prison (15 000 disent-ils!) occupe tout l’espace médiatique ! Philippe Poutou a dû, comme touTEs les candidatEs répondre à la très épineuse question carcérale. Et bien entendu, sa réponse a fait sensation : il faut vider la prison, a-t-il dit ! Serait-ce une aberration ?

Sur les 73 000 déténuEs (moins de 4 % sont des femmes), il y a plus de 19 000 prévenues ! En abandonnant la détention provisoire, on repasse allègrement sous la barre des 60 000 places opérationnelles. Si en plus, on supprime les courtes peines, 27 000 (2021) détenuEs dont condamnés à moins de deux ans de prison, on revient à des niveaux proches de 1982. CQFD !

On le voit, c’est une question de volonté politique, de politique pénale. Dans cette perspective, la légalisation du cannabis et la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues sont une étape primordiale, d’autant qu’elles permettront la mise en place d’une vraie politique de santé publique.

Certes, ce ne sont là que de premières étapes d’une démarche révolutionnaire de décarcéralisation de la société, mais elles sont absolument indispensables pour mettre fin à la maltraitance industrielle des détenuEs – presque toujours issuEs de notre camp social !

L’abolition !

Inscrire dans notre programme politique l’abolition de la prison ne signifie pas, du jour au lendemain, raser les murs et remettre tout le monde en liberté ! C’est tout un travail à faire, ne serait-ce que pour extirper les murs que nous avons touTEs dans la tête ! Il nous faut promouvoir une société qui cessera purement et simplement d’emprisonner, une société qui ne pourra plus supporter l’idée même d’enfermer certains des nôtres !

Nous pourrons compter que la fin de la marchandisation, de la course effrénée à la consommation, du mythe libéral de la réussite individuelle mesurée par la richesse, de la fiction de la croissance infinie au profit d’une société basée sur la satisfaction des besoins définis démocratiquement par les producteurs associés, que tous ces bouleversements engendreront une baisse significative des comportements actuellement pénalisables.

D’autre part, l’appréciation même de ce que sont les « illégalités » 1 et leur tolérance par la société évolueront en égale proportion : on l’a dit plus haut, la pénalisation des conduites addictives, la volonté de formatage des individus, l’injonction à supporter un travail aliénant seront peu à peu remises en question. Enfin, pour ce qui subsistera comme comportements gravement déviants, une société démocratique sera en mesure d’inventer une réelle justice réparatrice, comme l’ont expérimenté – exemple parmi d’autres – les Zapatistes au Chiapas !

 

  • 1. Voir les travaux de Michel Foucault.