Publié le Mercredi 25 novembre 2020 à 11h33.

Les femmes dans la classe ouvrière : une longue histoire

Au tournant du 19e siècle, l’idéologie des sphères séparées s’impose : la vie publique (activité professionnelle, relations sociales, vie politique) est réservée aux hommes, aux maris, quand la sphère privée (la famille, les enfants et le foyer) est dévolue aux femmes. Le discrédit est alors jeté sur le travail professionnel des femmes : « ouvrière, mot impie, sordide » écrit Jules Michelet au 19e siècle. En effet, le travail des femmes en atelier – et en particulier celui des très nombreuses jeunes filles – est considéré comme incompatible avec les « bonnes mœurs » ou la « moralité ». Une réputation de frivolité pèse sur les ouvrières et l’historienne Joan Scott montre d’ailleurs comment certains discours d’économistes du milieu du 19e siècle assimilent les ouvrières à des prostituées. Cependant, les ouvrières sont de plus en plus nombreuses.

Double journée de travail

Avec les sphères séparées, les tâches de reproduction de la force de travail sont assumées principalement par les femmes. Les féministes des années 1970, qui se sont battues pour le droit à l’avortement et la contraception, considèrent qu’il s’agit d’un travail car cela prend du temps, cela peut être assumé de façon rémunérée par d’autres femmes voire cela peut passer sur le marché. On parle alors de travail domestique et double journée de travail pour celles qui assument en plus un travail professionnel. La division sexuée du travail se fonde sur cette inégale répartition du travail domestique, centrale dans l’inégalité professionnelle persistante, encore aujourd’hui. Selon les termes de la sociologue Danièle Kergoat, la division sexuée du travail signifie une séparation – les femmes ne font tendanciellement pas les mêmes tâches que les hommes – et une hiérarchisation – dans les mêmes secteurs, les femmes se situent à des postes inférieurs à ceux des hommes.

Division raciale du travail

À la division sexuée du travail, s’articule une division raciale du travail. Ainsi, la domesticité est un débouché presque « classique » des femmes migrantes dans les grandes villes : cela concerne d’abord les jeunes femmes issues de la province au 19e, puis progressivement les Belges et les Italiennes, puis, après la Seconde Guerre mondiale, ce sont les Espagnoles, les Portugaises, les femmes venant de pays de l’Est ou du Maghreb. Dans les années 1960 et 1970, des stéréotypes articulant la classe, la « race » et le sexe continuent de peser sur elles. Dans les années 1960, 79 % des Espagnoles travaillent dans le service domestique basé. Dans le cadre de la domesticité ou plus récemment, en ce qui concerne les ouvrières du nettoyage, la reconnaissance de la qualification s’articule avec une revendication fondamentale de dignité, car leurs conditions de travail sont finalement « inhumaines » au sens propre.

Engagement syndical, engagement dans les luttes

Cette rapide esquisse de l’histoire du travail des femmes met en lumière des reconfigurations importantes et surtout les luttes qui les ont permises. Elles s’adossent sur l’engagement syndical. En effet, la loi de 1884, qui autorise la constitution de syndicats professionnels d’ouvriers et d’employés, n’exclut pas la « citoyenneté syndicale » pour les femmes, mais soumet l’adhésion à l’autorité du mari jusqu’en 1920. À ce moment-là, le travail professionnel des femmes ne fait pas l’unanimité syndicale et c’est un euphémisme – la plupart des hommes syndicalistes considèrent qu’elles constituent une concurrence déloyale parce qu’elles sont moins payées et, surtout, estiment que leur rôle est au foyer. Cependant, certaines militantes, telle que Lucie Baud, l’ouvrière à laquelle ont rendu hommage Michelle Perrot et Gérard Mordillat dans Mélancolie ouvrière, se battent pour de meilleures conditions de travail pour les femmes et au-delà, pour la dignité. Si les femmes ont tenu toute leur place dans les grands mouvements sociaux, comme les grèves de 1936, de nombreuses grèves de femmes ont marqué une longue histoire comme celle des transbordeuses d’oranges de Cerbère en 1907, considérée par certains historiens comme la première grève entièrement féminine en France.

Progressivement, l’enjeu de l’égalité professionnelle sera pris en charge par les organisations syndicales et aujourd’hui, cette revendication s’articule à une mise en question de l’inégale répartition du travail domestique et cela passe, entre autres, par la grève féministe, une stratégie reprise internationalement.