« Le gouvernement n’était pas contraint de nous présenter ce plan de déconfinement à l’Assemblée nationale et encore moins de nous le faire voter ! Au lieu de faire une conférence de presse, il vient devant nous ! C’est vraiment respecter les parlementaires que nous sommes. »Ainsi s’exprimait Marie-Christine Verdier-Jouclas, députée et porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée, au sujet de la présentation par Édouard Philippe, le 28 avril, de son « plan de déconfinement ». Des propos qui laissent songeur, quand bien même on n’aurait guère d’illusions sur les institutions de la démocratie parlementaire, tant ils illustrent l’intégration, par la très grande majorité des députés LREM, des modalités de gouvernance autoritaire du pouvoir exécutif, qui se sont encore aggravées avec la pandémie de Covid-19 et le confinement.
Une nouvelle étape dans la trajectoire autoritaire de la Macronie
Macron et les siens ne sont pas devenus autoritaires avec la crise du coronavirus. Depuis près de trois ans, nous avons ainsi eu l’occasion, comme beaucoup d’autres, de dénoncer les politiques liberticides du gouvernement, contre les droits démocratiques, les libertés publiques, ainsi que sa propension à mépriser, contourner voire écraser toute forme de contre-pouvoir. La gestion de la crise du coronavirus, avec des décisions prises en toute opacité par un petit groupe de personnes pour la plupart non élues, et imposées à l’ensemble de la population sans recherche d’une quelconque forme de consentement, sans même parler d’adhésion, s’inscrit à ce titre dans la continuité de la gouvernance macronienne, typique d’un bloc minoritaire, sans base sociale étendue, mais convaincu de la nécessité de faire passer à tout prix ses politiques.
Mais la situation d’état d’urgence sanitaire, que le gouvernement vient de prolonger jusqu’au 23 juillet en se donnant les moyens de durcir encore un peu plus les conditions de contrôle des déplacements de la population, représente une nouvelle étape dans la trajectoire autoritaire de la Macronie. Il ne s’agit pas seulement du renforcement des dispositifs de surveillance (drones, outils de tracking, etc.), déjà évoqués dans nos colonnes et contre lesquels de nombreuses voix s’élèvent à juste titre, mais plus globalement d’une volonté d’extension du contrôle, matériel et symbolique, de l’espace public : attestations de sortie sous peine d’amendes, division en zones « autorisées » et « interdites », présence policière et militaire accrue, etc.
« Les gouvernants rêvaient de l’état de peste »
Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault étudie la façon dont les épidémies de peste étaient gérées par les pouvoirs publics, et en tirait la conclusion qui suit : « La ville pestiférée, toute traversée de hiérarchie, de surveillance, de regard, d’écriture, la ville immobilisée dans le fonctionnement d’un pouvoir extensif qui porte de façon distincte sur tous les corps individuels – c’est l’utopie de la cité parfaitement gouvernée. La peste (celle du moins qui reste à l’état de prévision), c’est l’épreuve au cours de laquelle on peut définir idéalement l’exercice du pouvoir disciplinaire. Pour faire fonctionner selon la pure théorie les droits et les lois, les juristes se mettaient imaginairement dans l’état de nature ; pour voir fonctionner les disciplines parfaites, les gouvernants rêvaient de l’état de peste. »
Toutes proportions gardées (tant du point de vue de la dangerosité de l’épidémie que de l’intensité des mesures disciplinaires), ce constat de Foucault fait irrémédiablement écho aux aspirations gouvernementales à profiter de la situation de crise sanitaire pour imposer toujours plus de contrôle sur les individus et les populations. Dans la première version du texte prolongeant l’état d’urgence sanitaire, le pouvoir envisageait ainsi des dispositions permettant d’imposer la mise en quarantaine ou en isolement d’une personne ; en d’autres termes, le gouvernement souhaitait pouvoir ordonner « la mise en quarantaine des personnes ne respectant pas, de manière réitérée, les "prescriptions médicales d’isolement prophylactique" »1.
Face au tollé suscité par cette proposition, y compris dans les rangs de LREM, l’exécutif a été contraint de reculer… pour mieux sauter ? Nul doute en effet que, sous couvert d’urgence sanitaire, le pouvoir expérimente, normalise, banalise des dispositifs de contrôle toujours plus stricts. Il ne fait dès lors aucun doute que le combat pour imposer d’autres politiques sanitaires et sociales passera nécessairement par une lutte pour la reconquête et l’extension des libertés et droits démocratiques.
- 1. Jérôme Hourdeaux, « Le gouvernement présente son projet de renforcement de l’état d’urgence sanitaire », Mediapart, 2 mai 2020.