Publié le Vendredi 27 juin 2025 à 08h00.

Madagascar : Quand les projets de loi jouent à cache-cache

À Madagascar, les projets de loi sont gardés secrets jusqu’à leur adoption. Ni les citoyenNEs ni les députéEs ne peuvent débattre de textes parfois cruciaux pour la vie du pays. Face à ce verrouillage autoritaire, les organisations de la société civile dénoncent une dérive antidémocratique orchestrée par le pouvoir de Rajoelina.

Lopacité sur les projets de loi, organisée par le gouvernement, participe à un agenda funeste pour la démocratie sur la Grande Île. Cela paraît presque ubuesque, et pourtant, à Madagascar, les projets de loi sont cachés aux citoyenNEs. Ces dernierEs ne sont informéEs qu’une fois les lois votées. Cette pratique ne concerne pas seulement des lois que l’on pourrait qualifier de mineures, mais l’ensemble des projets, dont certains ont des conséquences importantes sur la vie du pays.

Adoption express

Mais si les citoyenNEs sont traitéEs de la sorte, pour les députéEs ce n’est guère mieux. Parfois, ils doivent se prononcer sur une loi qu’ils découvrent le jour même. Par exemple, la loi sur le PAC (Pôle anti-corruption) a été adoptée en 24 heures. Elle soustrait de la compétence des juges les délits financiers et économiques comme les prises d’intérêts illégales ou les détournements de fonds, et empêche la confiscation des biens mal acquis avant la condamnation, permettant ainsi de mettre à l’abri les fortunes indues en cas de jugement défavorable. On comprend mieux que cette pratique imposée par le gouvernement d’Andry Rajoelina ne relève pas d’une simple inefficacité de l’administration — qui est aussi bien réelle — mais d’une volonté politique. Lorsque des citoyenNEs ont rendu public le projet de loi électorale produit par le Sénat, ils et elles ont été inculpéEs.

Contrastant avec les principaux partis politiques aux mains de millionnaires, qui développent une politique clientéliste pour prendre le pouvoir et siphonner ainsi les ressources de l’État, les organisations de la société civile, particulièrement fortes et actives dans la Grande Île, exigent un minimum de transparence.

Démocratie bafouée

Elles mettent en avant les dangers de cette opacité : l’absence de débat dans la société, l’affaiblissement des contre-pouvoirs, et des lois souvent mal conçues, inefficaces et difficilement applicables. Depuis des années, ces organisations demandent des dispositions législatives sur le droit à l’information, permettant de formaliser ce qui relève du domaine public et de celui réservé à l’État. À chaque fois, les différents gouvernements ont fait des promesses qu’ils n’ont jamais tenues.

Dans un communiqué commun, les différentes organisations ont avancé leurs propositions : la publication du projet de loi, un délai de consultation obligatoire, et une plateforme en ligne dédiée pour chaque loi, du moins les plus importantes. De telles mesures favoriseraient un large débat. Le gouvernement recherche exactement l’opposé. L’absence de débat dans le pays et dans les chambres élues transforme, dans les faits, les lois en ordonnances ou décrets gouvernementaux, fusionnant de fait les pouvoirs exécutif et législatif. Quant au pouvoir judiciaire, il est l’objet de constantes pressions des autorités, à tel point qu’en 2024, le porte-parole du Bureau des Nations unies aux droits de l’homme a rappelé la nécessaire indépendance de la justice.

Rajoelina tend à installer une dictature en vidant les institutions de leurs prérogatives, suivant une mode qui s’étend à travers le monde.

Paul Martial