Dominique Simonnot arrive à mi-parcours de son mandat de Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGPL), qui ne sont pas que des prisons. Nous lui avons demandé quelles constations elle avait pu faire.
Durant ces quelque trois ans, quelles évolutions te semblent les plus notables ?
Dans le rapport annuel du CGLPL est souligné le sentiment d’un abandon coupable par l’État des captifs, certes, mais aussi du personnel. Une observation qui s’applique dans la plupart des lieux visités par le CGLPL, et en tout cas, dans les prisons, les CRA (centre de rétention administrative), les locaux de garde à vue et les services de soins sans consentement des hôpitaux psychiatriques. Tous souffrent des mêmes maux : un manque cruel de professionnels, des locaux souvent miteux, avec pour conséquence une prise en charge défaillante. Dans les maisons d’arrêt (courtes peines et détention provisoire), être enfermé 21 heures sur 24 en cellule — souvent à trois, avec un matelas au sol, en étant privé d’espace, d’accès aux soins, aux activités, puisque tout est contraint par le temps et par le nombre — va forcément influer sur la vie menée dehors. C’est une catastrophe. Il n’y a jamais eu autant de détenus en France, ils sont 73 162 et 2 241 d’entre eux dorment sur un matelas au sol dans des cellules infestés de cafards, de punaises de lit... Les prisonniers doivent faire leurs besoins — quelle humiliation ! — devant les autres, car souvent la porte des toilettes sert de table à la chambrée.
Pourtant, ces conditions déplorables coûtent 110 euros par jour et par détenu. Et il faudrait y ajouter le coût de la loi bafouée chaque jour puisque l’article 707 du code de procédure pénale oblige à penser la réinsertion dès l’arrivée en prison, en y menant une vie la plus proche possible de celle des gens libres afin de mener dehors une vie exempte d’infractions. Hélas, le nombre de conseillers pénitentiaires ne leur permet pas d’accompagner les détenus, trop nombreux, vers la sortie…
Dans les CRA, à la conception de plus en plus carcérale, la vie est violente et gérée par des fonctionnaires de police dont le métier n’est pas la garde et qui redoutent la confrontation avec les détenuEs. Quant aux enfants, le CGLPL les retrouve dans les centres éducatifs fermés (CEF) où l’on rencontre le meilleur comme le pire. Mieux encore, les enfants enfermés (en psychiatrie, en prison, en CEF) reçoivent 4 à 5 fois moins d’heures d’enseignement que leurs camarades de dehors. Or, les enfants sont notre avenir…
La situation de la psychiatrie n’est pas meilleure, le CGLPL y traverse des services dévastés par le manque de médecins et d’infirmiers. Mais, grâce à la bagarre menée, entre autres par Adeline Hazan, ma prédécesseuse, les mesures d’isolement et de contention sont désormais encadrées par la loi.
Heureusement, lors de nos visites et en discutant avec les équipes sur place, pas mal de choses s’arrangent ou sont rectifiées, malgré les difficultés. C’est un motif d’espoir, car les autorités de tutelle, notamment les ministres accueillent nos recommandations avec une étrange inertie.
Que penser de l’annonce de 15 000 places supplémentaires de prison ?
Ces annonces de « 15 000 » places se succèdent, d’un quinquennat à l’autre, sans que l’on puisse distinguer lesquelles « 15 000 » appartiennent aux promesses de tel ou tel président. En s’en tenant à l’actuel quinquennat, où elles étaient promises en 2017 pour 2027, nous en sommes à 2 000 livrées. Parmi lesquelles, l’ouverture de la prison de Lutterbach en décembre 2021, celle-là même annoncée par Michèle Alliot-Marie, alors garde des Sceaux, en 2008. Le CGLPL a visité cet établissement qui, étouffant déjà d’une surpopulation de 195 % chez les détenuEs et souffrant d’une sous-population de personnel, est déjà très dégradé. Ce qui rend la prison ingérable, et intenable la vie des détenuEs et de celles et ceux qui les gardent. Je conseille vivement, à ce propos, la lecture du très récent rapport du député Patrick Hetzel intitulé « Sur la planification de la construction des prisons : une inexorable procrastination de l’État »1 qui résume très bien cette impossible promesse et qui, assez malicieusement, fait le décompte des multiples « plans 15 000 » n’ayant jamais abouti.
Quelles sont, de ton expérience, les effets les plus néfastes de l’enfermement dans ces lieux ? Quelles préconisations as-tu pu mettre en avant pour faire face à la crise et à l’indignité des lieux contrôlés ?
J’ai parlé des conséquences de l’indignité de la prison, je pourrais en parallèle dire que la disparition de la pédopsychiatrie, dans certains départements, a des effets gravissimes. Les troubles n’étant pas repérés s’aggravent, ne sont pas pris en charge plus tard, et voilà des gamins que l’on retrouve, très perturbés, sur les bancs des comparutions immédiates, après un « examen » psychiatrique trop rapide. Même chose en psychiatrie adulte où le nombre de lits fermés n’a jamais été compensé par des structures en ville. Ce qui a lentement abouti à transformer la prison en grand asile psychiatrique (on y compte plus de 30 % de personnes atteintes de troubles graves) et contraint détenuEs et surveillantEs à jouer les infirmiers psy.
Le CGLPL alerte sans cesse le gouvernement sur une nécessaire « régulation carcérale » en jugulant les entrées et en favorisant les sorties afin qu’il n’y ait pas plus de détenus que de places, mais se heurte à un refus farouche. De même, nous appelons à un grand plan pour la psychiatrie, pour l’enseignement, la formation et de meilleures prises en charge des enfants, afin que cessent des placements en famille d’accueil ou en foyer, souvent violents et maltraitants mais peu ou mal contrôlés. En vain…
Mais je ne désespère pas ! D’abord, le CGLPL n’est pas seul. De très nombreuses organisations, magistratEs, pénitentiaires, avocatEs ou associations œuvrant en prison poussent dans le même sens. Et puis les avocatEs qui ont, maintenant, le droit de visiter les prisons, commissariats et CRA, vont, sans nul doute, faire croître le contentieux des conditions indignes de l’enfermement. À force de condamnations par la Cour européenne des Droits de l’homme et par les tribunaux nationaux, la réalité finira par coûter très cher et pas seulement financièrement, à notre société tout entière.
Propos recueillis par Cathy Billard
- 1. Patrick Hetzel, Rapport d’information. Sur la planification de la construction des prisons : une inexorable procrastination, mai 2023.