La prison tue !
La peine de mort a été abrogée en 1981, mais il n’est pas exagéré de dire que la prison tue. Le taux de suicides y est 7 fois plus élevé que « dehors » (à multiplier par 7 au mitard !). Par ailleurs, la prison est une forme de petite mort sociale, de par ses effets de désocialisation.
La prison enferme des pauvres
On ne le dira jamais assez : en prison se trouvent majoritairement des individus issus de notre camp social. Outre la nette surreprésentation de personnes racisées isues des quartiers populaires, les indicateurs socio-démographiques sont parlants :75 % des détenuEs appartiennent aux catégories ouvriers, employés et sans profession. De plus, si 50 % disposaient de revenus d’activité professionnelle, 15 % des personnes interrogées pour l’enquête Emmaüs-Secours catholique 1 se sont déclarées sans ressources financières avant leur entrée en détention et 25 % avoir pour ressource principale une prestation sociale.
Les pauvres, victimes d’une justice de classe !
Les personnes vivant en situation de précarité sont plus souvent condamnées à des peines d’emprisonnement. Selon Virginie Gautron et Jean-Noël Retière 2par exemple, « les personnes sans emploi, aux plus faibles revenus, peu dotées en capitaux scolaires, nées à l’étranger et/ou sans domicile fixe sont surreprésentées parmi les prévenus jugés en comparution immédiate », procédure qui multiplie par 8,4 la probabilité d’un emprisonnement ferme par rapport à une audience classique de jugement.
La prison les rend plus pauvres encore
Seules 38 % des personnes détenues ont un salaire. Moins d’une personne sur quatre a un emploi, le salaire variant de 20 % à 45 % du Smic, soit de 2,05 euros à 4,61 euros de l’heure. La durée de travail aux ateliers est en moyenne de 17 heures par semaine et le salaire souvent à la pièce, alors que c’est interdit. Le droit du travail n’est pas appliqué. Une personne sur cinq n’a ni emploi, ni formation professionnelle, ni enseignement scolaire au cours de sa détention. Moins d’une sur quatre participe à des activités socio-culturelles et une sur cinq seulement a accès au sport.
Alors que 45 % des personnes interrogées estimaient être en situation de pauvreté avant leur incarcération, elles sont 70 % au cours de la détention. La moitié des personnes qui déclaraient ne pas se sentir en situation de pauvreté avant leur détention considèrent être devenues pauvres pendant leur détention.
Pauvreté à tous les étages
Les condamnéEs ne sont pas plus égaux dans l’accès au PSE (placement sous surveillance électronique-bracelet électronique) car il y a des critères discriminants, notamment le logement. Le PSE exclut de fait les détenuEs sans domicile fixe ou qui n’ont pas de logement dans lequel exécuter leur mesure. Il faut aussi des garanties professionnelles (avoir un emploi ou une promesse d’embauche). En fait, pour avoir un PSE, il faut déjà être un peu inséré socialement !
Quand bien même, enfin, l’on bénéficierait d’un PSE, il est évident qu’exécuter sa peine dans un logement décent ou dans un 10 m² insalubre pèse beaucoup dans les chances de « réussite » de la mission de réinsertion de la sanction...
La prison n’insère ni ne réinsère !
En 2009, une loi pénitentiaire, supposée servir de cadre, proclame parmi les missions du service public pénitentiaire celle de « contribue[r] à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées ». Au-delà de la déclaration de principe, est-il organiquement possible pour la prison d’insérer et de réinsérer ? Insérer ou réinsérer, telle est la question…
Le terme de réinsertion, malgré sa connotation bienveillante, voire paternaliste, a le mérite d’être clair sur les finalités politiques de l’institution carcérale : la personne est identifiée comme insérée dans la société mais... mal insérée. La pénitentiaire a, dès lors, toute latitude pour corriger la socialisation déviante : charge aux conseillers pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) d’utiliser des outils issus de l’évaluation des risques en assurances pour s’immiscer dans les relations amicales, amoureuses, professionnelles des personnes suivies.
Quid de l’insertion ? Si le législateur fait la distinction, c’est qu’il considère que la population carcérale a souvent été éloignée des espaces élémentaires de socialisation. Rupture familiale, décrochage scolaire, manque d’accès aux soins… La taule prétend donc pallier les défaillances de l’ensemble de la société ! Au bout du compte, 75 % des détenuEs sortent de prison sans aménagement (sorties dites « sèches »), ce qui conduit 63 % des détenuEs à être condamnées pour récidive dans les cinq ans.
La prison rédemptrice : la clémence sélective du bourreau
C’est là la principale objection de nos contradicteurs : certainEs ressortent, de leurs propres dires, grandis ou aidés par la taule. Pas difficile, répondra-t-on, quand la taule constitue le premier contact de certaines personnes avec un service de soins psychiques ou untravailleurE social compétent… Et c’est tout le problème. Comme institution, la prison se montre fondamentalement et systématiquement maltraitante. Quand le règlement intérieur condamne des besoins élémentaires en interdisant les téléphones qui permettent de garder contact avec ses proches sous peine de mitard, mieux vaut en effet ne pas avoir de proches à pleurer. La capacité de certainEs détenuEs à se saisir des « chances » qu’elle propose tient à leurs parcours et à leurs personnalités individuelles, non aux qualités du système. Là encore, donc, la taule fait régner l’arbitraire.
La prison ne dissuade pas !
Au-delà de tous les « inconvénients » évoqués ci-dessus, il est temps de se poser une question basique : la prison est-elle efficace pour dissuader des individus de commettre des délits ou des crimes, et surtout pour les dissuader de recommencer ? S’il est difficile de répondre à la première partie de la question, l’on peut tout de même constater que ni la peine de mort ni le durcissement pénal n’a jamais eu de conséquences notables sur les taux de criminalité. Quant à la récidive, tous les chiffres montrent que c’est le contraire qui advient, avec un taux de récidive de l’ordre de 59 %. Toutes les études parlent plus de la prison comme l’école de la récidive. Laissons à Sylvain Lhuissier3 la conclusion : « La prison n’est pas, comme on peut le faire croire, la première étape d’un parcours de réinsertion. C’est une étape supplémentaire franchie dans la mauvaise direction ».
- 1. Emmaüs, Au dernier barreau de l’échelle sociale : la prison.
- 2. Virginie Gautron, Jean-Noël Retière, « La justice pénale est-elle discriminatoire ? Une étude empirique des pratiques décisionnelles dans cinq tribunaux correctionnels ». Colloque Discriminations : état de la recherche, Alliance de Recherche sur les Discriminations (ARDIS), Dec 2013, Université Paris Est Marne-la-Vallée, France.
- 3. Sylvain Lhuissier, Décarcérer, éditions Rue de l’échiquier, 2020, 96 pages.