Publié le Dimanche 31 octobre 2021 à 12h00.

Ventes d’armes françaises et militarisme : un scandale d’État, un tabou même à gauche ?

«Beaucoup de pays sont confrontés à cette situation : avoir livré des armes à d’autres pays alors que ces armes n’étaient pas censées être utilisées. » Ainsi s’exprimait, en février 2018, la ministre des Armées Florence Parly, questionnée sur France Inter à propos des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite. Une réponse témoignant, selon certains, d’une mauvaise maîtrise des « éléments de langage » du gouvernement, mais qui révèle surtout le cynisme, pour ne pas dire le mépris, affiché par les autorités à l’égard de celles et ceux qui, chaque jour, sont mutilés ou tués par des armes « made in France ». Lorsque l’économie et la diplomatie s’en mêlent, il n’y a guère de place pour l’humanisme. Pour le plus grand bonheur des actionnaires des marchands de mort français que sont Thalès, Naval Group, Safran, Dassault Aviation, le CEA et Nexter.

Marchands de mort

Dans l’introduction de l’édition 2018 du « Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France », la même Florence Parly écrivait : « Nos exportations de défense ont un rôle économique, bien sûr, mais elles comportent également une dimension stratégique centrale. Elles contribuent à tisser des liens avec nos partenaires, engagés, comme nous, dans la lutte contre le terrorisme et toutes les menaces auxquelles la France fait face. Créer une relation d’armement avec un pays, ce n’est pas seulement trouver de nouveaux clients, c’est également bâtir un partenariat fondé sur des impératifs stratégiques communs et sur la défense de nos intérêts de sécurité. » Et le moins que l’on puisse dire est que la France a su, au cours des dernières années, « tisser des liens » avec de plus en plus de « partenaires »… 

Une mention toute particulière pour le quinquennat Hollande, avec une augmentation des exportations de 45 % entre 2011 et 2016, pour atteindre des records historiques qui placent la France sur le podium mondial des marchands de mort. Une politique assumée par Hollande, que l’on a pu voir déclarer sans ambages, dans le documentaire Mon pays fabrique des armes, réalisé par Anne Poiret : « Est-ce bien notre rôle de vendre des armes ? Oui, c’est notre rôle. Parce que si nous ne vendions pas un certain nombre de matériels, le risque c’est que d’autres le fassent à notre place. » Limpide. 

Un sujet tabou ?

L’actualité de ces dernières années a jeté une lumière crue sur cette politique, avec notamment la publication d’un rapport d’Amnesty International sur l’utilisation de matériel français, par la dictature militaire égyptienne, pour réprimer son opposition dans le sang1, ainsi qu’avec la tragique situation humanitaire au Yémen, due à l’intervention militaire conduite par l’Arabie saoudite, friande de l’armement « made in France ». Le scandale international consécutif à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018, qui avait conduit Angela Merkel à annoncer la « suspension » des livraisons d’armes allemandes à l’Arabie saoudite, fut l’occasion, pour certains journalistes, de questionner directement Macron à propos des ventes d’armes françaises. Réponse de l’intéressé : « Il ne faut pas tout confondre. » C’est tout ? C’est tout.

Les exportations d’armement sont un véritable tabou en France, et l’on ne peut que se féliciter de constater que, grâce à l’action déterminée d’associations, d’ONG et de certains journalistes d’investigation, le voile soit peu à peu levé sur ce qui constitue rien de moins qu’un scandale d’État. Le « savoir-faire » français en matière d’armement contribue en effet grandement à maintenir des régimes autoritaires au pouvoir et à alimenter des guerres qui frappent des millions de civilEs. L’industrie de mort française est co-responsable de la descente aux enfers que connaissent des ensembles régionaux tout entiers, à l’image du Moyen-Orient vers lequel le « pays des droits de l’homme » exporte toujours plus de matériel militaire, en toute impunité. 

Défendre le désarmement et la démilitarisation

Et force est malheureusement de constater que du côté des forces politiques institutionnelles, c’est l’unanimisme qui l’emporte. Défense des « intérêts français », défense des groupes industriels, défense des emplois générés par l’industrie de l’armement : tous les arguments sont bons pour ne pas pointer les responsabilités de la France dans les conflits militaires de plus en plus nombreux aux quatre coins du monde. Quitte à verser parfois dans les postures les plus contradictoires, à l’instar de celle de Jean-Luc Mélenchon et de la FI qui, tout en dénonçant les exportations d’armes en Arabie saoudite, n’ont de cesse de saluer la bonne santé du complexe ­militaro-industriel français. 

À l’opposé de toute apologie des industries d’armement français, de toute logique « bloc contre bloc » et de tout chauvinisme, il est urgent d’assumer des mots d’ordre défendant une perspective de désarmement et de démilitarisation. Cela commence par l’arrêt des exportations des engins de mort français et, au-delà, le démantèlement du complexe militaro-­industriel, avec, cela va sans dire, une reconversion industrielle qui pourrait notamment s’orienter vers le domaine de la transition énergétique (trains, métros, tramways, énergies renouvelables…). Soit une politique de désarmement unilatéral et général, qui implique également la destruction de la force de dissuasion nucléaire française et, sur le plan politique, la sortie de l’Otan et l’arrêt des interventions militaires françaises à l’étranger. Des revendications que d’aucuns jugeront radicales, mais qui ne représentent rien d’autre que le minimum pour mettre un terme à la fuite en avant militariste générée par un système capitaliste au sein duquel les guerres ne sont pas des accidents, mais des nécessités.

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