Le 4 mars, à l’issue de la journée de mobilisation des travailleurEs du spectacle (vivant et enregistré) appelée par les syndicats et organisations professionnelles du secteur, la manifestation parisienne se dirige sous l’impulsion, de la CGT spectacle vers le théâtre de l’Odéon. C’est le début de l’occupation. Les occupantEs, alors principalement des professionnelles du spectacle et de la culture, élaborent une plateforme de revendications et des modalités d’organisation de la lutte qui ont fait des émules depuis dans la majorité des nouveaux lieux occupés.
C’est le cas par exemple du principe des « agoras » quotidiennes : des assemblées générales ouvertes aux prises de paroles et échanges organisées par les occupantEs mais ouvertEs à tous les soutiens, sur la place devant le théâtre, parfois thématiques.
Quelles revendications ?
Le retrait de la contre-réforme de l’assurance chômage est, quoi qu’en racontent les médias « mainstream » ou le gouvernement, la revendication centrale de ce mouvement. Une réforme qui touche l’ensemble des travailleurEs bien au-delà de la culture. Les revendications se déclinent également autour de l’accès aux droits sociaux pour toutes et tous : la prolongation des droits au chômage d’au moins un an (la fameuse « année blanche ») pour les intermittentEs, mais également l’accès à un revenu décent pour les précaires de la culture (plasticienEs, jeunes entrantEs, étudiantEs), le respect des droits au congés maternité, congés longue maladie, et entre autres la création d’un fonds d’aide aux artistes et technicienEs du spectacle. En dernière instance seulement, cette occupation pose et impose également la question de la réouverture des lieux culturels (jugés non essentiels par ce gouvernement), avec mise en place de protocoles et moyens sanitaires.
Celles et ceux qui font la culture doivent pouvoir décider
La question de la réouverture est la seule qui soit aujourd’hui entendue et relayée dans les médias et par le gouvernement, au grand regret des occupantEs et des soutiens ! Pour la ministre et le gouvernement, c’est en effet une porte de sortie acceptable lorsque cette revendication est posée de manière isolée. Mais une occupation est également une forme de réappropriation de leurs outils de travail par les professionnelEs du secteur culturel. Les occupantEs de l’Odéon et d’ailleurs mettent en réalité en pratique le début d’une de nos revendications fondamentales dans le secteur culturel (et de nombreux autres secteurs jugés « non essentiels ») : celles et ceux qui font la culture doivent pouvoir décider de manière démocratique si, et comment on ouvre ! La question de l’auto-organisation est au centre de ce mouvement.
Une vague d’occupation
L’occupation de l’Odéon, après quelques jours et un appel à l’élargissement, a rapidement commencé à faire des petits… Les occupations de lieux culturels se multiplient et continuent ! 52 à l’heure où nous écrivons... Pas un jour ne passe sans que nous n’apprenions l’occupation de plusieurs nouveaux lieux, dans de nouvelles villes de toutes tailles ! L’enthousiasme et la dynamique de ces occupations y sont aussi galopants que cette déferlante… Et dans la morosité de cette période, ce n’est pas peu dire ! Ce mouvement s’annonce puissant et déterminé, et il en aura besoin pour tenir et s’élargir.
De nombreuses questions se posent aux occupantEs avec des réalités, des préoccupations et des difficultés très différentes selon les moments. La dissonance entre les premières occupations, qui entrent dans leur deuxième semaine, et celles qui ne font que commencer est en soi un obstacle à surmonter pour ce jeune mouvement. Pour les plus « anciens » la difficulté à tenir (même physiquement, surtout avec la question du renouvellement des occupantEs sur l’Odéon), et la question de se renouveler, de réussir à étendre, renforcer et structurer ce mouvement, à l’échelle nationale, sont à l’ordre du jour. Pour les nouvelles occupations et celles encore à venir, les rapports parfois ambigus avec les directions d’établissements qui proposent même souvent aux salariéEs ou aux étudiantEs l’occupation des lieux qu’ils dirigent sont des préoccupations encore vives. De fait, à ce jour, l’élargissement est réel et fort, les revendications sont largement partagées avec celles avancées par l’Odéon et les évacuations sont rares (mais pas inexistantes).
La tentation du village gaulois
Pour ces occupations, comme pour pour la défense du statut d’intermittentEs, le risque est également de se retrouver isolés autour des enjeux du secteur culturel. Par nature, le risque d’une occupation peut résider dans l’isolement progressif, mais c’est un enjeu tout autant concret que politique. Les occupantEs l’ont tout de suite énoncé et construit : il y a une nécessité objective pour le secteur culturel et particulièrement pour les intermittentEs de se tourner vers l’extérieur, mais pas seulement… Particulièrement dans cette période de crise et de chômage de masse, les intermittentEs ont un intérêt également moral, politique à défendre se retrouver dans la lutte de touTEs les « précaires du travail ».
Le gouvernement sème la misère…
Les agentEs du ministère de la culture sont habitués aux ministres invisibles… Roselyne Bachelot ne fait pas exception. Pourtant, c’est notable, elle est venue dès les premiers jours rencontrer les occupantEs de l’Odéon. Certes il n’en est rien sorti d’autre qu’un soutien du bout des lèvres sur la stricte question de la réouverture et un « peut-être » autour de l’année blanche, mais sa venue a de fait donné une forme de visibilité et de légitimité à cette occupation et ses revendications. Une opération de récupération d’ailleurs largement ratée pour la ministre… De fait cette apparente bienveillance du gouvernement a d’ailleurs été balayée par l’ampleur de la vague d’occupation qui s’étend. Bachelot annonce, puis recule sur l’année blanche tandis que le gouvernement prévoit un milliard d’économie sur le dos des chômeurEs. Elle y ajoute l’indécence en se plaignant de voir, suite à la cérémonie des Césars, « les artistes piétiner leur outil de travail »…
Ouvrir les lieux culturels, ce n’est qu’un début
L’enjeu de ces occupations est également de faire de ces lieux des espaces ouverts de discussion politique, les centres de nos villes et de nos quartiers. Le terme « d’agora » n’est pas anodin. L’enjeu de ces moments d’échanges et de discussions politiques est à la fois central et profondément subversif dans un moment de confinement et d’isolement ou tous nos autres lieux d’organisation « traditionnels » sont fermés, inaccessibles et désertés. Déjà, avec la multiplication des occupations, on a pu observer que celles-ci étaient impulsées ou rejointes également par des collectifs de précaires, de privéEs d’emplois, d’étudiantEs… Mais ces lieux doivent s’ouvrir à toute notre classe sociale.
Convergeons vers les occupations !
Multiplions également les lieux de nos occupations ! En tant que travailleuses de la culture nous occupons notre lieu de travail, mais également parce qu’il est déjà symboliquement un lieu de rencontre avec le public et donc tourné vers l’extérieur. Mais ce mouvement, parce qu’il a vocation à défendre les droits sociaux de toutes et tous, doit également pouvoir se tourner vers d’autres lieux. C’est le sens du #OccuponsPartout qui a fleuri sur les réseaux. Autour de l’Odéon, mais également à Rouen par exemple, des délégations de syndicalistes, de travailleurEs mobilisés ou non viennent s’adresser aux occupantEs.
Pour gagner : amplifier, visibiliser, se structurer !
Ces derniers jours, le mouvement tente de s’organiser, de se regrouper et de se coordonner, notamment grâce à l’organisation d’une large réunion Zoom depuis les occupations. Une AG nationale des lieux occupés en somme. Espérons et gageons que cette structuration pourra, dans les jours qui viennent, prendre corps au travers d’un appel, et même d’une journée de mobilisation nationale. L’enthousiasme et la dynamique de ce mouvement portent en eux des revendications unifiantes dans cette période de crise : contre la précarité et le chômage, pour l’accès aux droits sociaux de base pour toutes, mais également pour le droit à vivre de son travail dans des conditions sanitaires satisfaisantes, le droit de décider collectivement et démocratiquement de nos vies, le droit à une vie sociale et politique… Mais également le droit à faire revenir un peu de joie et de beauté dans la lutte !