Film français, 1 h 43, sorti le 5 février 2020.
Voilà un film, Soumaya (du nom de son personnage principal), qui a l’énorme mérite de rendre visible ce qui a été occulté depuis des années par les « grands » médias et la quasi-totalité du champ politique, à savoir l’entreprise raciste de stigmatisation et d’exclusion dont sont l’objet les musulmanEs dans la société française.
Un film contre l’islamophobie d’État
Pour ce faire, le film s’appuie sur des faits réels qui renvoient aux conséquences directes de l’état d’urgence. Contrairement à une représentation largement présente dans les milieux militants de gauche, celui-ci n’a pas d’abord et principalement affecté des syndicalistes ou des écologistes mais des musulmanEs. Ainsi le film débute-t-il par la perquisition administrative arbitraire subie par une famille et, dans la foulée, le licenciement abusif de la mère d’une entreprise dans laquelle elle travaillait depuis 14 ans.
La censure dont le film fait l’objet – la séance en avant-première prévue en septembre dernier au Grand Rex avait été annulée suite à une campagne menée par la facho-sphère et le film n’est actuellement programmé que dans une poignée de salles en France – signale à nouveau qu’il est plus facile et rentable, dans l’espace public français, de faire régulièrement des déclarations racistes au point d’être condamné pour incitation à la haine raciale (cas Zemmour) que de faire connaître une œuvre antiraciste.
Une vertu essentielle du film tient dans le fait qu’il ne propose pas une simple dénonciation morale du racisme, réduisant celui-ci à un préjugé irrationnel et à une faute individuelle, mais donne à voir à quel point l’islamophobie fonctionne en France comme un racisme d’État, au sens où il se trouve régulièrement stimulé par des politiques publiques (loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux « ostentatoires » à l’école, circulaire Chatel, etc.) et légitimé par des discours d’État (prononcés par des individus occupant des positions au sommet de l’État).
Un film à voir et à soutenir
Il permet également d’insister sur le fait que l’islamophobie se déploie à travers une variété de pratiques : des pratiques d’État (policières et judiciaires notamment, mais aussi scolaires) ainsi que des pratiques qui débordent l’État (discriminations à l’embauche et à la promotion, sur le marché locatif, dans la sphère associative, etc.). Le racisme apparaît alors pour ce qu’il est : un système de pratiques qui produisent des effets matériels et quotidiens sur les personnes qui en sont l’objet, aboutissant à l’infériorisation et l’exclusion de vastes groupes humains.
Enfin, si le personnage principal permet de mettre l’accent sur le courage et la dignité exemplaires d’une mère, les personnages secondaires amènent implicitement à saisir plusieurs des obstacles à la lutte contre l’islamophobie, qu’il s’agisse de l’intégrationnisme amenant à prendre le point de vue des dominants (à travers le personnage de l’avocat, Kais), de la peur que la lutte frontale contre le racisme ne fasse qu’empirer les choses (la mère de Soumaya) ou encore de l’épuisement de celles et ceux qui ont (souvent) le sentiment de lutter dans le désert, de manquer de soutiens (l’avocate, Mariam).
Un film à voir donc, à faire voir, mais surtout à soutenir dans un contexte où tout est fait pour rendre invisible la persécution -islamophobe et ses effets.
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