En le qualifiant « d’homme malade du système » en septembre dernier, le ministre avait prévenu qu’il allait faire du collège la cible des prochaines réformes. Pour revenir sur des années de politiques destructrices et de baisse des moyens ? Pas vraiment…
Sur BFMTV, Pap N’Diaye a fini par préciser les contours de sa réforme, à la fois peu ambitieuse sur le fond et largement influencée par l’idéologie du « retour aux fondamentaux » chère à son prédécesseur, de sinistre mémoire, Jean-Michel Blanquer.
Son constat est accablant : 27 % des élèves n’ont pas le niveau en maths, un tiers en français. Voilà qui justifie, selon ses termes, de « s’attaquer au collège ». Ni le fameux « niveau » ni les compétences évaluées ne sont clairement identifiées, pas plus que n’est interrogé le poids des inégalités sociales dans ces chiffres globaux…
La grande idée, c’est de s’inspirer des « 6e tremplin », une expérimentation menée dans 6 collèges ruraux de l’académie d’Amiens : des professeurEs des écoles qui viennent au collège pour y faire du soutien en français et en maths. À défaut de résultats probants ou du moindre retour sur expérience, l’expérimentation sera donc généralisée à l’ensemble des collèges de France dès l’année prochaine.
N’Diaye dans la droite ligne pédagogique de Blanquer
La vision pédagogique qui sous-tend ce dispositif est largement rétrograde. Elle privilégie le triptyque « lire, écrire, compter » au détriment du reste. L’obsession blanquérienne de la « fluence », à savoir la capacité à lire le plus possible de mots par minute, est reprise par N’Diaye. Dans cette vision, l’articulation entre « lire » et « comprendre », entre « calculer » et « raisonner », entre les différentes composantes de la culture commune, disparaît, au profit d’une vision de l’école à l’ancienne, qui séduit la droite, mais qui n’a jamais fait la preuve de sa capacité à réduire les inégalités.
C’est l’enseignement de la technologie qui est le premier à faire les frais de cette politique de resserrement sur les fondamentaux, puisqu’il sera supprimé en classe de 6e, au profit de cette heure « tremplin ». Un tour de passe-passe ministériel dont on peut légitimement se demander s’il ne serait pas destiné à pallier le déficit important de professeurEs de technologie.
Plus généralement, cette mesure a le gros avantage de ne rien coûter, et même de permettre de continuer à supprimer des postes dans le second degré. À la rentrée prochaine et pour la 6e année consécutive, 498 postes y seront encore supprimés, alors que le nombre d’élèves restera stable. Si l’on voulait vraiment soigner « l’homme malade », il aurait fallu commencer par inverser cette politique du chiffre.
Une reprise en main qui touche aussi le 1er degré
En plus de devoir faire le « service après vente des fondamentaux » dans les collèges, les professeurEs des écoles sont soumis à de nombreuses injonctions qui vont dans un même sens : un rabougrissement pédagogique, une vision de l’éducation où tout est comptabilisé, du nombre de lignes écrites par jour au nombre de mots lus par minute.
Et qui dit obsession des chiffres dit évaluations standardisées, presque à tous les niveaux du système scolaire : après celles en CP, en CE1, en 6e, en 2de, le ministre en rajoute en CM1 et en 4e. Une dérive inquiétante qui tend à confisquer le savoir-faire des enseignantEs au profit d’une vision mécanisée de l’éducation, voire à terme d’un renforcement du tri des élèves.
La revalorisation, quelle revalorisation ?
Plutôt qu’un recadrage pédagogique et une inflation des dispositifs gadgets, le ministre serait mieux inspiré de s’attaquer à la crise du métier qui impacte gravement l’Éducation nationale et qui a des répercussions sur les élèves.
Hélas, cela ne fait pas partie de ses projets. Pour lui, la crise de recrutement est une fatalité, il n’y a rien à faire hormis recruter toujours plus de contractuelLEs, qui auront l’avantage d’être les variables d’ajustement des prochaines réformes, comme le sont aujourd’hui nos collègues de technologie.
Si la dégradation des conditions d’enseignement est une des causes de cette crise, l’absence de revalorisation salariale, alors que les comparatifs internationaux placent la France très bas dans leurs classements, en est une autre. Là-dessus, le ministre rétropédale par rapport aux promesses faites par Macron il y a quelques mois : finie donc la revalorisation de 10 % pour touTEs. On ne connaît pas encore la taille des miettes, mais une chose est sûre : face à l’inflation, le niveau de vie des profs va largement continuer à chuter.
Et cela ne sera pas sans conséquence sur le niveau des retraites, à l’heure où la réforme d’Élisabeth Borne vient encore aggraver la situation. Les personnelEs de l’Éducation ont donc toutes les raisons de lier leurs colères à celles de l’ensemble des salariéEs et de rejeter, au-delà de la réforme des retraites, une politique et un gouvernement qui empoisonne les services publics en prétendant les soigner.