Une semaine après le suicide de Christine Renon, dans le hall de son école, la maternelle Mehul à Pantin, nous sommes encore sous le choc, profondément tristes et profondément en colère. Parce que nous avons perdu l’une des nôtres.
Et aussi parce que nous sommes nombreuses et nombreux à nous reconnaître dans les mots qu’elle met sur sa souffrance au travail. La lettre de trois pages envoyée à ses collègues, juste avant de mettre fin à ses jours, commençait ainsi : « Je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée ».
Souffrance au travailLes indécentes tentatives de déni et de dénigrement du rectorat et du ministère n’y peuvent rien : c’est bien de son travail qu’est morte notre collègue, et son geste fait éclater une souffrance au travail qu’on l’on avait jusque-là cherché à garder silencieuse. « Pas de vague », comme on dit chez nous.Pourtant, de la souffrance au travail, il y en a. « Ces tout petits riens qui occupent à 200 % notre journée », disait-elle. De la souffrance au travail, il y en a, lorsque des rythmes scolaires épuisants sont imposés, malgré les demandes des personnels. De la souffrance au travail, il y en a, lorsque chaque ministre de l’Éducation applique ses réformes sans tenir compte de l’avis des personnels. Lorsque l’on met en place des dispositifs et des évaluations chronophages et dénués de sens pédagogique. « À la fin de la journée on ne sait plus trop ce que l’on a fait », disait-elle encore. De la souffrance, il y en a, lorsque l’institution nie l’expertise des professeurEs et leur liberté pédagogique et impose des méthodes d’apprentissage normées…
Réactions indécentes de l’institutionPour Christine Renon, il est désormais trop tard. Mais pas pour celles et ceux qui restent. Est-ce que nous allons regarder, impuissantEs et silencieux, nos collègues mourir de servir l’Éducation nationale ? Douze suicides ou tentatives de suicides dans la seule académie de Créteil (77-93-94) depuis le début de l’année…Nous savons, et Christine Renon le savait aussi, qu’il n’y a rien à attendre de l’institution. « L’idée est de sacrifier les naufragés dans la tempête » écrit-elle.Au bout de quatre jours de silence, le ministre s’est fendu d’un tweet. Où le nom de Christine Renon n’est pas mentionné. Quant au rectorat, s’il est intervenu sur place, c’est pour enjoindre les directeurs et directrices à respecter leur « devoir de réserve » et à ne pas diffuser sa lettre. Et demander aux enseignantEs de l’école Mehul de retourner en classe le lendemain du jour où le corps de la directrice a été retrouvé.Face à l’indécence de la réponse institutionnelle, heureusement, il y a celles et ceux qui ont fait preuve de dignité. En se rendant dès le jeudi soir, à plusieurs centaines, devant l’école Mehul pour un premier hommage très fort. En publiant des motions pour dénoncer les conditions de travail qui ont conduit au suicide de Christine Renon dans de nombreuses écoles, collèges et lycées. En appelant le jeudi 3 octobre, jour du CHSCT exceptionnel, à une grève et à un rassemblement devant la direction départementale de l’Éducation nationale, à Bobigny. Le meilleur hommage que nous puissions rendre à notre collègue : des établissements massivement fermés, partout en France, des rassemblements pour demander, enfin, une écoute et une prise en compte de la souffrance des enseignantEs, et la fin de ce management brutal. Parce qu’il n’est pas tolérable que l’on puisse encore perdre sa vie à travailler pour l’Éducation nationale.François Montreuil et Raphaël Alberto