Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a emporté une demi-victoire aux élections législatives qui se sont conclues le 5 juin dernier. Il est réélu pour la troisième fois consécutive, mais il en sort aussi affaibli, alors qu’il espérait renforcer son pouvoir autocratique.
La chambre basse du Parlement indien, la Lok Sabha, comprend 543 sièges. Modi visait une majorité écrasante, comme le proclamait son slogan de campagne : « Ab ki baar, 400 paar » (« cette fois-ci, 400 plus »). Son parti, le BJP, n’en a obtenu que 240 (contre 303 en 2019). L’alliance démocratique nationale (DNA) qu’il dirigeait en a gagné 293, alors que le bloc d’opposition INDIA, constitué par 26 formations politiques, en a emporté 234.
À lui seul, le BJP n’a donc plus la majorité absolue à la chambre basse et il a dû former un gouvernement de coalition avec des partis régionaux. L’affaire est d’importance car Modi voulait une majorité permettant de modifier la Constitution et de mettre en œuvre sans entraves sa politique nationaliste suprémaciste hindoue (Hindutva) à l’encontre des minorités religieuses (musulmanes, chrétiennes), voire de se déifier.
Emblème de la récession démocratique mondiale
Le BJP est une émanation du RSS, un puissant mouvement à caractère fasciste, implanté notamment dans le nord du pays. Ce parti a déjà pris le contrôle de nombreux médias et institutions. Il bénéficie de financements (licites ou illicites) considérables, notamment de la part d’entreprises. Il persécute les opposantEs. La Commission électorale ne dispose de fait que d’une indépendance très limitée, placée sous l’influence du pouvoir… Ainsi, l’Inde a été classée comme une « autocratie électorale » par le projet Varieties of Democracy (V-Dem) et elle occupe la 161e place sur 180 pays concernant la liberté de la presse. Pour l’activiste et analyste Sushovan Dhar, elle est devenue l’un des principaux exemples de la récession démocratique mondiale.
Aujourd’hui, cependant, la rhétorique religieuse de Narendra Modi patine. Comme le relève le journaliste de Mediapart Côme Bastin, le BJP a été battu dans la circonscription d’Ayodhya, là même où le Premier ministre a inauguré sa campagne électorale, là où un temple géant dédié au dieu Ram a été construit sur les décombres d’une mosquée (et là où s’est produit en 1992 un massacre antimusulman).
Inégalités sociales abyssales
Dans une interview accordée à The Conversation, le professeur Sumit Ganguly, de l’université d’Indiana, note avec humour que le BJP n’a pas compris que la « fierté hindoue » ne se mange pas et que, ultimement, c’est le prix des pommes de terre et d’autres produits de première nécessité qui compte dans un pays où seulement 11,3 % des enfants bénéficient d’une alimentation adéquate. Le chômage des jeunes est l’un des plus élevés au monde. Le (réel) développement économique de l’Inde a fait couler beaucoup d’encre, mais il s’accompagne d’inégalités sociales abyssales.
Comme le relève Sushovan Dhar, le BJP gagne des élections dominées par la rhétorique communaliste et chauvine, il les perd quand elles le sont, plus ou moins directement, par des questions de classe.
Malgré ses inconsistances et l’absence de personnalités marquantes pour l’incarner, le bloc d’opposition INDIA a réussi à ébranler l’aura et le sentiment d’invincibilité du Premier ministre. Il n’offre pas une alternative au fond, le parti du Congrès ne remettant pas en cause l’ordre dominant néolibéral. Cependant, le demi-échec de Modi offre un peu de répit aux mouvements sociaux et à la gauche pour se réorganiser et se réorienter.
Pierre Rousset