Publié le Vendredi 16 décembre 2022 à 08h52.

USA : poussée des réformateurs lors de l’élection de la direction du syndicat de l’automobile

La fédération syndicale « Travailleurs unis de l’automobile » (UAW), autrefois le fleuron du mouvement ouvrier américain, aujourd’hui une organisation autoritaire et corrompue, vient d’élire une nouvelle direction syndicale engagée dans la réforme.

Le vote est encore en cours de dépouillement (notamment pour le poste de président), mais les réformateurs pourraient prendre des postes de direction du syndicat. La victoire des réformateurs dans cette élection ouvre la possibilité d’un changement progressiste fondamental dans l’un des plus grands syndicats industriels du pays, qui représente également de nombreux travailleurEs de l’enseignement supérieur. Mais les réformateurs devront relever d’énormes défis face à l’ancienne direction du syndicat, aux employeurs et au gouvernement.

Une longue histoire syndicale

Dans les années 1930, par le biais d’occupations d’usines, de piquets de grève massifs et de batailles avec les briseurs de grève et la police, le syndicat dirigé par la gauche a réussi à organiser les travailleurEs des trois grands constructeurs automobiles : General Motors, Ford et Chrysler, ainsi que de nombreux fournisseurs de pièces détachées. Dans les années 1940, alors que les usines se tournent vers la production de guerre, l’UAW compte plus d’un million de membres. Walter Reuther, président du syndicat de 1940 à 1970, était un social-démocrate qui a soutenu le mouvement des droits civiques des Noirs et les travailleurEs agricoles latinos, mais il a également créé un caucus (groupe de direction) hautement centralisé, qui a dominé le syndicat pendant 70 ans.

Le syndicat a connu plusieurs crises. Dans les années 1960, lorsque les travailleurEs noirs ont exigé des changements à la fois des entreprises automobiles et du syndicat, ce dernier a envoyé des salariés blancs attaquer physiquement une manifestation de travailleurEs noirs. Dans les années 1970, des travailleurs militants, dont certains étaient des vétérans de la guerre du Vietnam, ont poussé le syndicat à mener des grèves militantes contre GM. Puis, dans les années 1980, face à la concurrence allemande et japonaise, les constructeurs automobiles états­uniens ont commencé à fermer certaines de leurs vieilles usines et ont également exigé et obtenu des concessions du syndicat sur les salaires et les avantages sociaux. En réponse, les militantEs de la base ont créé des « sections locales contre les concessions ». Dans les années 1980 et 1990, les entreprises ont adopté ce que l’on a appelé la gestion « Toyota », mais qui est mieux définie comme « gestion à flux tendus » (« lean production ») ou « gestion par le stress ». L’UAW a conclu un partenariat avec les entreprises, créant de nombreux programmes conjoints qui ont rapidement éclipsé le syndicat.

Crises dans l’UAW

Au 21e siècle, la direction de l’UAW est devenue totalement corrompue, détournant plus d’un million de dollars du syndicat pour des voyages luxueux et des dépenses personnelles extravagantes. Plusieurs responsables de l’UAW, dont deux anciens présidents, ont plaidé coupable et ont été condamnés à des peines d’un à six ans de prison. Voyant la nécessité d’une réforme, des travailleurs ont créé l’organisation Unite All Workers for Democracy (UAWD).

Dans le contexte de crise, les tribunaux sont intervenus dans le syndicat et des réformes ont été proposées, de sorte que les membres ont voté en 2021 pour mettre fin à la pratique consistant à élire les dirigeants lors de congrès syndicaux nationaux et donc laisser désormais les adhérents voter directement pour les postes supérieurs de direction. Les réformateurs ont alors créé une liste appelée UAW Members United qui exigeait « aucune corruption, aucune concession et aucun palier » (les paliers font référence à des taux de rémunération différents pour différents groupes de travailleurEs effectuant le même travail).

Cependant, l’UAW d’aujourd’hui n’est pas celle d’autrefois. Lorsque les usines automobiles ont fermé, l’UAW a perdu des membres, le syndicat a commencé à s’implanter dans d’autres secteurs, comme l’éducation. L’UAW d’aujourd’hui n’est donc plus uniquement un syndicat industriel. Au total, le syndicat compte 391 000 membres actifs et 580 000 membres retraités qui votent également aux élections syndicales. Mais parmi les membres actifs, plus d’un quart sont désormais des salariéEs ­diplômés des universités.

Les réformateurs ont remporté plusieurs postes lors de l’élection de la direction qui vient d’avoir lieu. Mais seuls 106 000 adhérentEs sur près d’un million de travailleurEs actifs et retraités ont voté. Ainsi, bien qu’il y ait une nouvelle direction, elle n’a pas été propulsée au pouvoir par un vaste soulèvement militant des travailleurs sur les lieux de travail ni par un puissant mouvement de réforme (45 000 travailleurEs étudiants diplômés sont actuellement en grève en Californie, mais leur syndicat régional n’a pas soutenu les réformateurs).

Plusieurs des réformateurs ont de l’expérience au niveau local, mais ils n’ont jamais dirigé un syndicat national, et ils doivent maintenant relever de grands défis. Ce sera difficile. Ils auront besoin de la solidarité de la gauche.