En lançant une proposition choc – doubler le salaire de tous les personnels de l’Éducation nationale – Anne Hidalgo a eu au moins le mérite de lancer un débat important, et de montrer en creux l’insuffisance des politiques menées sur cette question par Blanquer, mais aussi par les socialistes lorsqu’ils étaient au pouvoir.
Commençons par enfoncer quelques portes ouvertes. En France, les profs ne sont pas bien payés. L’OCDE, qui n’est pas exactement une officine d’extrême gauche, publie régulièrement des études sur le sujet. La dernière, rendue publique il y a quelques jours, classe la France au 22e rang sur 33 pour les salaires des enseignantEs rapportés au coût par élève. Autre indicateur : à cause du gel du point d’indice de la fonction publique et des plans de revalorisation beaucoup trop sporadiques, le pouvoir d’achat des enseignantEs a chuté d’environ 30 % sur les 30 dernières années – dont près de 15 % sur la dernière décennie.
Cette baisse des salaires des profs n’affecte pas que les profs eux-mêmes : elle impacte négativement l’attractivité du métier et donc, d’une certaine façon, la qualité du service public d’Éducation. Le débat lancé par Hidalgo est donc légitime et nécessaire, même si on peut se demander s’il n’est pas dicté par des intérêts de tactique électoraliste – se distinguer par une proposition choc, tenter de rallier la catégorie professionnelle historiquement acquise au PS…
Une proposition irréaliste ?
En tout cas, à voir les réactions des Blanquer, Jadot ou même Mélenchon, on comprend qu’au-delà de l’effet de surprise, la candidate socialiste a brisé un tabou. Celui de la « culture de gouvernement », un euphémisme qui désigne la logique budgétaire consistant à donner toujours moins aux services publics.
La mesure d’Hidalgo coûterait 60 milliards selon Mélenchon, voire 150 milliards selon Blanquer… Et alors ? Si l’on accepte d’aller ponctionner, ne serait-ce qu’un peu, les profits du capital, ce n’est pas vraiment un problème.
La question est donc maintenant de savoir si cet argent serait le plus utile à un doublement généralisé des salaires des enseignantEs, alors même qu’il existe, au sein de la profession, des disparités salariales très importantes. Pour le dire plus crument, quel sens cela aurait-il de doubler le salaire d’un agrégé enseignant en prépa alors qu’il gagne déjà largement plus du double d’unE professeurE des écoles ?
Justice sociale avant tout
Revaloriser la profession, pour nous, ce n’est pas donner plus à celles et ceux qui ont déjà assez. C’est réduire les écarts et s’assurer que touTEs gagnent un salaire digne. Pour cela, mieux vaut commencer par une augmentation uniforme de 30 euros pour touTEs, plutôt qu’une mesure proportionnelle, et s’assurer qu’il n’y ait aucun salaire en-dessous de 1 800 euros net par mois.
Il faut également sortir de la logique catégorielle. Si l’on doit payer plus les profs, ce n’est pas parce qu’ils et elles sont profs, c’est parce qu’on doit mieux redistribuer les richesses au profit de toutes celles et tous ceux qui ont un salaire insuffisant – et il y en a ! Il ne faut pas être dupe des promesses qui viseraient à nous couper de la solidarité avec notre classe sociale.
Il y aussi chez certains faux-amis des profs l’idée que la France devrait en quelque sorte « se payer des profs plus chers », autrement dit meilleurs. C’est évidemment une manière subtile de faire reposer sur nous autres profs « low-cost » la responsabilité de tous les maux du système scolaire. Comme si l’école n’était pas avant tout le reflet et le moteur d’une société de plus en plus inégalitaire, ce que les quatre années de Blanquer au ministère n’ont fait qu’aggraver.
Que l’éducation et les salaires soient des sujets de la campagne présidentielle est plutôt une bonne chose, déjà parce que cela nous change du halal à la cantine ou de l’uniforme à l’école. Mais nous savons que le chemin pour obtenir des salaires dignes pour touTEs, dans l’éducation comme ailleurs, ne passera ni par les clopinettes annoncées par le gouvernement Macron ni par les promesses des socialistes nostalgiques du hollandisme. Il passera par nos luttes.