La Découverte, 2024, 300 pages, 17 euros.
«Langue de pute ! », « Putain, c’est fou !». Si nombre d’entre nous avons l’habitude de ponctuer nos phrases de ces mots entrés dans le langage courant, ces termes n’en sont pas moins profondément misogynes et putophobes. Dans Pute. Histoire d’un mot et d’un stigmate, Dominique Lagorgette détaille l’origine de ces mots et leur usage à travers les siècles.
Plus vieux métier du monde ou non, les mots pour le qualifier sont, en tout cas, aussi anciens que notre langue. Leur origine est encore débattue mais se trouve dans le latin et renvoie à des termes utilisés, toujours pour qualifier quelque chose de péjoratif et vite associés à la saleté, la puanteur. S’il renvoie désormais en premier lieu aux travailleureuses du sexe (TDS), le terme « pute » sert bien plus globalement à désigner toutes les femmes et, quand on l’utilise pour insulter un homme, ce n’est que par le biais de la réputation de sa mère. Sans grande surprise, on réalise à l’étude de ce mot que les femmes sont toutes assimilées d’une façon ou d’une autre à la prostitution, que ce soit par le biais d’un comportement jugé inadapté, d’appétits sexuels que les mentalités n’autorisent qu’aux hommes, à cause d’un « bon » mariage...
« Putain, con, y a plus moyen de jurer ?», comme on dirait dans le sud (« con » étant également et par ailleurs — est-il besoin de le préciser ? — une insulte hautement misogyne). La majorité d’entre nous qui parsemons allègrement nos phrases de ces mots comme nous utiliserions la virgule ne sont ni particulièrement misogynes ni remontés contre les TDS. Pourtant, cet usage participe de la violence de genre dont il est indispensable de se dépêtrer. Si certainEs choisissent de revendiquer fièrement ce mot, il conviendrait de repenser notre façon d’insulter l’autre (si tant est qu’il soit absolument nécessaire de le faire) en évitant l’écueil systématique de s’en prendre aux mœurs des femmes. Ce livre évoque le collectif Georgette Sand qui lança en 2014 un tumblr donnant naissance à des insultes « ni sexiste, ni homophobe, ni transphobe, ni raciste ». Quittons-nous sur le merveilleux « croquette molle » (Han, trop pas sympa pour les croquettes !).
En chassant le mot « pute » et ses dérivés à travers les écrits et les âges, l’autrice montre comment son usage et les tabous qui l’entourent varient selon l’époque, le milieu et les mentalités. Elle questionne ce qu’il dit de notre société, ainsi que de l’image des TDS en particulier, mais plus généralement des femmes. Un livre pour les amoureuxses de la langue.
Cyrielle L.A.