Entretien. Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse revient sur le combat pour empêcher l’urbanisation de 670 ha de terres exceptionnellement fertiles au nord de Paris, avant les 24 heures pour sauver les terres de Gonesse qui ont lieu les 14 et 15 juin.
Où en est la lutte du CPTG (Collectif pour le triangle de Gonesse) ?
Il est encore possible de préserver les terres de Gonesse, après l’abandon d’Europacity et le discours de Castex en 2021 qui annonçait la réduction de la ZAC (zone d’activité concertée) de 300 à 110 ha et la construction d’une cité scolaire1. Le préfet du Val-d’Oise a finalement annulé en septembre 2024 la ZAC de 300 ha pour en créer une nouvelle de 122 ha qui fait l’objet en ce moment d’une enquête publique.
Sur le triangle, la ligne 17 et la gare ne sont pas finies mais sur le point de l’être. Ces constructions prennent 5 à 10 ha mais ne coupent pas l’espace agricole. Il reste encore 670 ha disponibles mais les 122 ha prévus à l’urbanisation sont en plein milieu. Le combat pour empêcher l’urbanisation à cet endroit est donc impératif pour préserver l’ensemble des terres, si proches de Paris et pouvant produire quantité de denrées alimentaires pour la restauration collective. L’enjeu il est là, si les 122 ha sont urbanisés c’est la fin des terres agricoles sur les 670 ha. Même si la présence de la gare est maintenant irréversible, le combat contre la construction de la cité scolaire (début des travaux en 2026 et inauguration en 2028 avec la gare) reste un impératif. Si sa construction se réalise ce sera le déclenchement de l’urbanisation. Empêcher la construction de la cité scolaire sur le triangle, seul projet annoncé, mettrait un sérieux coup de frein aux projets d’urbanisation qui suivraient. D’où l’importance de l’enquête publique.
L’autre élément important dans l’enquête publique, c’est la construction d’un échangeur routier pour assurer un accès à la zone d’activité qui n’existait pas jusque-là. C’est ce nouvel accès routier qui va permettre comme on le prévoit l’afflux de camions pour des entrepôts de logistique ou des datacenters. C’est déjà ce que l’on voit sur toutes les zones d’activité autour de Roissy, comme c’est le cas sur les anciennes friches industrielles de PSA à Aulnay.
Une cité scolaire sous le bruit des avions et au milieu d’une zone d’activité tout-camion est complètement incompatible avec une vie scolaire ! C’est ce que nous exprimerons dans le cadre de l’enquête publique qui se déroule en ce moment (28 mai-31 juin) en espérant que la commissaire enquêtrice puisse donner un avis défavorable.
On pense qu’il est possible de l’obtenir, et le CPTG et d’autres associations iront au tribunal. L’exemple de l’A69 prouve que c’est parfois possible d’obtenir des tribunaux des décisions qui aillent dans le sens de la préservation de l’environnement et de limiter ainsi les dégâts prévus par un certain nombre d’élus. Tous les espoirs sont permis pour obtenir l’abandon de l’urbanisation du triangle de Gonesse au profit de la restauration collective 100 % bio, et cet espoir a trouvé un appui avec le projet d’AgriParis Seine…
Qu’est-ce que c’est AgriParis Seine ?
AgriParis Seine s’est constitué en juillet 2023 à l’initiative de collectivités importantes : Paris, métropole du Grand Paris, le département de la Seine-Saint-Denis qui se sont associés à la métropole du Havre, de Rouen et une partie agricole de l’Yonne. Le but est de créer une filière de denrées bio et durables pour la restauration collective (scolaires, Ehpad, hôpitaux). Le nombre de repas servis dans la restauration collective est nettement supérieur au nombre de repas fournis par le système des AMAP. On touche à la fois un niveau nettement supérieur en quantité et aussi en enjeux politiques puisque la restauration collective est de la responsabilité des communes et des collectivités territoriales à un moment où on va avoir un renouvellement des conseils municipaux. Cet enjeu est une chance pour les territoires proches de Paris qui a déjà fait un travail pour préserver sa ressource en eau et qui maintenant s’engage aussi sur la question alimentaire. Pour nous, c’est essentiel et on essaie de faire le lien entre les communes de la métropole et celles du périurbain de l’Île-de-France qui ont des terres agricoles.
Le CPTG inscrit son action dans le cadre des « Soulèvements de la Seine ». Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
Les Soulèvements de la Seine c’est une déclinaison en Ile-de-France (au sens large) des « Soulèvements de la Terre ». Ils regroupent 4 luttes en lien avec l’utilisation de la logistique dans une organisation mondialisée : la lutte dans les Hauts-de-France contre le méga-canal Seine-Nord Europe (CSNE), la lutte contre les aménagements de La Bassée, la lutte contre le projet Greendock d’implantation d’entrepôts à Gennevilliers et notre lutte. Dans tous ces problèmes de circulation de denrées, il y a un lobby qui intervient fortement et que l’on retrouve en Île-de-France : c’est l’intérêt des céréaliers d’avoir des moyens de communication et en particulier par les canaux pour spéculer sur le marché mondial des céréales. L’agriculture du triangle de Gonesse est une agriculture mondialisée, pas une agriculture de proximité, nourricière des territoires. Nous luttons depuis le début pour préserver ces espaces agricoles, pas pour préserver les céréaliers qui y sont et qui regardent le cours mondial des céréales pendant que leurs salariéEs sont sur les tracteurs au milieu de leurs propriétés agricoles. Ces céréaliers spéculateurs concurrencent la paysannerie d’Afrique et d’ailleurs. Ils portent une responsabilité dans la destruction de l’agriculture vivrière dans le monde entier.
Quels sont les moyens d’action et comment se faire entendre ?
Les moyens d’action sont ceux habituels des associations de défense de d’environnement : citoyens, en mobilisant le plus grand nombre, et politiques, en cherchant des complémentarités et des soutiens parmi des éluEs. Il y a aussi les interventions juridiques. Quand les avis des tribunaux sont en notre faveur, ils sont toujours bons à prendre. Par ailleurs, on n’exclut rien, y compris la désobéissance civile comme ce fut le cas à Notre-Dame-des-Landes où le CPTG s’est rendu à plusieurs reprises pour apporter son soutien, ou l’organisation d’une ZAD dont l’occupation a duré 17 jours durant l’hiver 2021.
On pense à ce sujet que la ZAD de Gonesse a pesé dans le processus qui a conduit à la réduction de la ZAC et on n’exclut pas d’organiser des actions de désobéissance civile avec les Soulèvements de la Seine, en bénéficiant de l’expérience des autres, sachant que le CPTG ne sait pas tout faire.
Quelles sont les prochaines dates de mobilisation ?
Dans le cadre de l’enquête publique on organise les 14 et 15 juin « 24h pour sauver les terres de Gonesse »2. Par ailleurs le dernier dimanche de chaque mois, nous nous retrouvons de façon très conviviale avec un repas partagé à une vingtaine sur le triangle de Gonesse. Cela permet d’assurer la permanence de la lutte et de montrer à ceux qui veulent urbaniser qu’on est toujours là. On échange entre nous, et cette rencontre nous permet de préparer les actions comme celle que nous organisons les 14 et 15 juin.
Propos recueillis par Philippe et José (comité NPA 95)
- 1. https://lanticapitaliste…
- 2. Site web : www.ouiauxterresdegonesse