Entretien. Alors qu’un mouvement inédit de grève des examens s’est organisé dans l’Éducation nationale, et que se pose désormais la question de la rétention des notes, nous avons rencontré Célestine, professeure des écoles et Manuela, conseillère principale d’éducation, membres du collectif les Stylos rouges.
Pouvez-vous revenir sur la création des Stylos rouges ?
Les Stylos rouges (SR), c’est avant tout un groupe actif sur les réseaux sociaux. Il est né de façon spontanée le 12 décembre 2018 sur Facebook en réaction au discours du président Macron qui venait de promettre des augmentations de salaires et une écoute pour tous mais qui encore une fois avait oublié les enseignantEs. Les personnels de l’Éducation nationale ont été séduits par le groupe, et très vite le nombre de membres a grimpé. L’idée générale était de rappeler à M. Macron que nous existons et qu’oublier les personnels de l’Éducation nationale n’est pas tolérable car les enseignantEs sont l’un des pivots de la République.
Par la suite, notre ministre M. Blanquer, qui avait promis qu’aucune réforme ne porterait son nom et qu’il en serait fier, a proposé une série de lois et d’amendements qui révisent totalement le système éducatif actuel. Ses projets, sans être votés à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont été formulés comme des demandes d’application dès la rentrée de septembre 2019. La procédure accélérée utilisée, le manque d’écoute des personnels, le mépris affiché de notre ministre pour nos fonctions, nos droits et nos défenses par les syndicats ont attisé la colère et le rejet massif de toute la politique ministérielle. Aujourd’hui en lutte depuis décembre, nous exigeons une augmentation de nos salaires, un véritable respect de nos professions par tous (ministère, médias, parents et société en général), et des moyens pour nos établissements, nos élèves et nos classes. Nous exigeons un véritable dialogue entre le ministère, les organisations syndicales et des représentants de tous les collectifs en lutte, dont les SR évidemment.
Quelles sont les formes de structuration et d’actions spécifiques que les Stylos rouges ont mises en place depuis janvier 2019 ?
Le groupe national a vite donné naissance à des groupes académiques pour informer localement les collègues et permettre l’organisation d’actions. Chaque groupe académique a des administrateurs volontaires ; il n’y a pas de leader à proprement parler, mais un sentiment d’appartenance fort que chacun peut s’approprier pour se mobiliser et organiser des actions dans son académie avec pour objectif de rendre visibles les SR et de défendre le Manifeste. Le Manifeste a été rédigé en collaboration avec tous les membres du groupe national (actuellement plus de 69 000 collègues enseignants, personnels d’éducation, AESH et AVS, directrices et directeurs d’école), afin de tenir compte des besoins de chaque corps de métiers et d’élargir les revendications, la principale restant la revalorisation salariale. En Île-de-France, les académies de Paris, Créteil et Versailles travaillent ensemble.
Depuis décembre, les membres SR ont déployé de nombreuses actions, à commencer par des AG qui se sont réunies dans presque toutes les académies dès janvier, certaines avec des centaines de collègues, comme à Créteil. La visibilité du collectif a été quasi immédiate grâce au logo que chacun a osé arborer fièrement sur son casier ou en manifestation, et aux visuels élaborés par nos membres talentueux. La communication en salle des profs a été entamée par les membres localement et, nationalement, un lien avec les syndicats a été établi car il n’était pas question de faire concurrence, mais de compléter et de travailler ensemble. Nous avons investi avec succès la place du Panthéon un samedi de janvier, puis lancé un ultimatum enjoignant le ministre à des négociations, sans quoi nous appellerions à la grève des examens. Nous avons enterré l’Éducation nationale en février devant un mur des lamentations construit pour l’occasion. Un happening a également eu lieu en mars au Louvre. Les SR ont été reçus au ministère en avril et en mai, mais aucune réponse n’a été apportée par le cabinet de M. Blanquer qui continue de ne pas entendre nos besoins. Les grands médias, quant à eux, choisissent de ne pas relayer les vraies informations, comme c’est le cas en ce moment avec la grève des examens. Ils sont même parfois insultants envers nos métiers, c’est pourquoi, le mercredi 26 juin, nous avons choisi de mener une action en bas d’un quotidien pour obtenir un droit de réponse à une « Une » méprisante. Nous menons nos actions spontanées en fonction de l’actualité.
Quelles alliances : des Gilets jaunes à l’intersyndicale de l’Éducation nationale pour appeler à la grève des examens ?
Très vite, un cortège éducation s’est associé aux Actes des samedis. Parallèlement, dans nos établissements mobilisés contre les réformes Blanquer et la loi « confiance », des heures d’information syndicale ont été posées. L’AG IDF a régulièrement lancé des appels et il nous a semblé normal – nos revendications étant communes – de nous associer à ce mouvement, tant aux AG que dans la rue lors des grèves et manifestations. Quant à l’intersyndicale, elle a suivi ce mouvement de révolte inédit qui a pris, au fil des semaines, de plus en plus d’ampleur. Concernant les GJ, de multiples discussions ont eu lieu sur le groupe national : fallait-il ou non les rejoindre ? Quel impact cela allait-il avoir sur le collectif ? Finalement, chacun fait comme il l’entend, et nous sommes nombreux en France à manifester tous les samedis, en tant que SR, en tant que personnel de l’éducation nationale, en tant que GJ. Appelons cela le cumul de mandats (rires).
Comment analysez-vous le bilan des mobilisations dans l’Éducation nationale de cette année scolaire ? Comment apprécier le rapport de forces avec le ministère et le gouvernement pour les prochains mois ?
Il est absolument inédit, associant de nombreux collectifs et syndicats dans des revendications communes. Pour la première fois, un appel à la grève des examens a été signé par syndicats et collectifs réunis. Le mouvement a pris beaucoup d’ampleur, même si les médias nationaux ne relaient pas les vrais chiffres. La grève des surveillances du bac est un carton, avec des chiffres allant jusqu’à 85 % de grévistes dans certains lycées. Le rapport de forces est sévèrement engagé car le gouvernement refuse toute négociation. Les reculs sur la « loi confiance » ne sont que des effets d’annonce : pas de formation pendant les vacances dans la loi, mais un amendement y obligeant les personnels ; pas de directeurs d’école supérieurs hiérarchiques, mais des « cités éducatives » avec une hiérarchie du second degré qui pilote le premier degré « à titre d’expérimentation », et la liste est longue... Nous n’avons aucune raison de cesser la lutte. Elle reprendra en septembre si le ministre ne recule pas. La grève des examens mobilise des milliers de collègues, la rentrée devrait en augmenter encore le nombre car les réformes vont s’avérer catastrophiques pour tous, et cela sera visible dès la rentrée avec la mise en place des réformes.
Quel avenir envisagez-vous pour les Stylos rouges ?
Les SR n’ont pas vocation à s’éteindre car nos revendications remportent l’adhésion majoritaire des personnels de l’Éducation nationale. Nous réfléchissons à mettre en place une caisse de grève/mobilisation qui rendrait pérennes nos actions. Les réponses répressives de nos hiérarchies et du gouvernement nous incitent à nous mobiliser avec encore plus de conviction et de détermination pour que notre système éducatif s’améliore, autant pour les personnels que pour les élèves. Nous attendons un troisième entretien au ministère et invitons tous les collègues à s’engager dans la rétention des notes des examens. Nous ne lâcherons pas !
Propos recueillis par Cathy Billard