Publié le Jeudi 19 novembre 2020 à 16h22.

Un parti pour la classe

Dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels nous disent à propos du parti « Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. » Le parti (dans le sens historique du terme) est donc à la fois un parti de la classe mais aussi celui qui sert ses intérêts jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la conquête du pouvoir afin de construire une société égalitaire sans classe ni exploitation, ni oppressions

 

Alors que la crise du système capitaliste et son lien avec l’État n’ont jamais été aussi visibles, la question du changement de société n’est pas seulement actuelle, elle est nécessaire. Se pose alors à nous, les militantes et militants communistes une interrogation : quelle organisation construire pour permettre ce changement. ? Comment avancer vers la rupture ? Or, si des explosions de radicalité ont vu le jour, elles ne concernent, ces derniers temps, que des petites franges du prolétariat voire de la petite bourgeoisie. Même si le mouvement ouvrier traditionnel a réussi encore à mobiliser massivement par exemple pendant le mouvement des retraites. Nous avons vu l’incapacité à gagner depuis ces quinze dernières années ou même à organiser une contre-offensive face aux lois liberticides (état d’urgence en 2015, état d’urgence sanitaire autour de la pandémie de Covid-19). Le mouvement ouvrier est principalement dans une dynamique défensive, le seul mouvement offensif constitue peut-être le mouvement des soignantes et soignants après le désastre de l’épidémie de Covid-19 dans l’hôpital public (qui continue encore). De plus, la pandémie mondiale et sa gestion ont isolé les gens, au-delà des facteurs sociaux et psychologiques rendant la mise en mouvement difficile. Or on le sait, la progression de la conscience de classe ne peut s’effectuer (à une échelle de masse du moins) que par l’expérience. Les modifications sur l’organisation du travail qui ont cours vont rendre indubitablement le prolétariat plus fragmenté qu’il ne l’était déjà.

La question est donc comment construire dans ce prolétariat fragmenté et comment faire que la conscience de classe progresse.

Le premier élément pour discuter de ces questions est d’arriver à déterminer ce qu’est le prolétariat aujourd'hui, non pas dans l’absolu. Nous sommes face à de nombreux problèmes : l’augmentation des statuts précaires de toute nature parmi les travailleuses et travailleurs, le chômage de masse depuis des années et son augmentation dans les prochains mois avec tout ce que cela va entraîner comme conséquences sociales et politiques, la construction d’un État à la fois fort et contesté et la polarisation du corps des fonctionnaires en lien avec la contradiction inhérente à leur fonction a fortiori pour les fonctions d’encadrement (catégorie A). De plus, la situation de crise économique va forcément avoir des conséquences en termes de déclassement : toute une série de petits commerçants vont aller grossir les rangs des chômeurs, sans que le basculement idéologique se fasse forcément du côté de la classe ouvrière.

Des mobilisations et des confusions

Cet état de fragmentation a construit des mobilisations hybrides d’un point de vue de la classe. Les Bonnets rouges en Bretagne, puis Nuit Debout au moment de la loi travail en étaient déjà des produits : des mobilisations qui se construisent en partie en dehors du mouvement ouvrier traditionnel avec des éléments de confusion liée en partie à la composition sociale des secteurs mobilisés. Les Gilets jaunes en sont évidemment le mouvement exemplaire, car il est à la fois constitué des franges les plus précaires du prolétariat mais aussi d’une partie de la petite bourgeoisie déjà déclassée. Il y a fort à parier que ce type de mouvement continue d’exister sous des formes et d’autres. Avec des discours antisystème qui peuvent parfois se révéler confusionnistes, voire complotistes ou liés à l’extrême droite. La gestion catastrophique de la crise par le gouvernement, l’isolement, l’augmentation de la misère et l’incapacité du mouvement ouvrier à construire un mouvement d’ensemble qui propose des réponses à ces questionnements va permettre à ces discours de progresser.

Tout ce qui se joue autour des actes terroristes va augmenter la division, la stigmatisation des musulmanes et des musulmans ou de ceux qui en ont l’apparence, ce qui rend difficile la constitution du prolétariat en classe.

Des mobilisations en dehors du mouvement ouvrier

Même si en France, nous avons eu des exemples de mobilisations exemplaires initiées par les syndicats, prouvant que ceux-ci gardent une assise dans le prolétariat, toute une série de mobilisations se sont produites en dehors des cadres du mouvement ouvrier. Pour toute une série de fractions de la classe, les syndicats sont inexistants sur leur lieu de travail (quand ils en ont un). De plus, dans certains secteurs qui étaient autrefois des secteurs largement syndiqués, aujourd’hui les syndicats ont perdu en termes d’implantation que ce soit en nombre d’adhérents ou de militantes et militants de terrain et en termes de repères politiques.

Cela tend à produire des explosions qui peuvent se faire en dehors des syndicats qui ont alors du mal à embrayer le pas de la mobilisation quand ils ne s’opposent pas à cette mobilisation1. Mais contrairement à l’idée reçue, le fait que ces mobilisations se fassent en dehors du mouvement ouvrier ne constitue pas un pas en avant, car elles seraient alors « libérées de la bureaucratie ». Cet état de fait contribue à construire des mobilisations fragmentées qui sont dans l’incapacité d’une part de faire le pont entre la radicalité d’une frange et l’ensemble de la classe, d’autre part de faire la synthèse des expériences historiques de lutte.

À cela s’ajoute les mobilisations qui se jouent autour de la question des oppressions antiracistes et féministes. Si les secondes sont en France liées par leur histoire au mouvement ouvrier, cela ne se fait pas sans contradictions. Alors que le mouvement ouvrier peine à offrir une place aux mobilisations antiracistes.

Une classe n’est pas un monolithe

Si le prolétariat est fragmenté d’un point de vue de l’organisation du travail, il est aussi traversé par différentes divisions voire contradictions, liées aux oppressions. La classe n’est pas un monolithe et c’en est presqu’un lieu commun, la moitié d’entre elle est constituée par des femmes. Une bonne partie du prolétariat est racisée, souvent dans les emplois les plus précaires, en particulier pour les travailleuses et les travailleurs sans-papiers. De plus, le prolétariat n’est pas plus hétérosexuel qu’une autre classe sociale, n’en déplaise à certaines images qui voudraient que les personnes LGBTI soient principalement issues de la petite-bourgeoisie et que nos revendications seraient à côté de la lutte de classes.

D’une part, les luttes d’émancipation ont permis de faire progresser les droits pour l’ensemble du prolétariat : le droit à disposer de son corps, à plus d’autonomie, à l’épanouissement sexuel et individuel. D’autre part, les mobilisations qui se déroulent aujourd’hui sur ce plan remettent facilement en cause le système : les violences systémiques pour le mouvement féministe, la police et le racisme institutionnel pour le mouvement antiraciste.

Mais les revendications avancées par les mouvements ne règlent pas tout, au contraire. Derrière Defund the police peut se retrouver l’idée qu’une autre police est possible, comme le fait que dans le mouvement féministe la reconnaissance des violences s’associe encore trop souvent à un discours répressif et sur le besoin d’alourdir les peines2.

Ces mouvements restent des mouvements aussi traversés par des contradictions et parfois des contradictions de classe. Effectivement, la situation matérielle des personnes opprimées (les femmes, les personnes LGBTI ou les personnes racisées) s’est considérablement modifiée lors des cinquante dernières années dans les pays impérialistes. Les luttes d’émancipation et anticoloniales ont permis de modifier les oppressions notamment au moyen d’une législation spécifique. La conséquence est que si ce n’est pas un phénomène général, certaines femmes, personnes LGBTI ou personnes racisées peuvent accéder au pouvoir, à une part du capital et a minima à une part d’intégration de façon autonome.

Les groupes constituant les personnes opprimées, s’ils n’ont jamais été homogènes, pouvaient a minima faire converger des intérêts communs dans une période où par exemple toute femme était réduite à l’autorité du père ou du mari comme c’était le cas au début du capitalisme. Aujourd’hui la convergence hypothétique d’intérêts des femmes issues de la bourgeoisie qui ont accès à l’autonomie, aux intérêts des ouvrières, des précaires ou des femmes migrantes, qui n’ont pas accès à cette autonomie, est plus éloignée que jamais.

Quelle politique pour unifier la classe ?

La période montre un prolétariat fragmenté non seulement socialement, mais aussi politiquement. Nous pouvons voir l’ensemble des problèmes qui se posent à nous pour réussir à constituer le prolétariat en classe et donc à réussir à faire progresser la conscience de classe.

Le premier élément de réponse partielle que nous pouvons apporter en tant que militantes et militants est de travailler à l’unité de la classe. Cette unité ne pourra que se faire qu’en prenant en compte la diversité du prolétariat. Si la majorité des organisations syndicales et ouvrières reconnaissent le féminisme comme un apport à la lutte des classes, bien que dans la pratique cela pèche encore, l’islamophobie et le racisme sont bien mal pris en compte, en témoigne l’incapacité des syndicats enseignants par exemple à réagir à la répression extrême exercée sur les jeunes qui refusaient la minute de silence, ou bien le silence de la CGT concernant l’islamophobie sur les lieux de travail au retour de l’assassinat de Samuel Paty. Mais l’unité ne pourra pas se construire sans un travail syndical. Le syndicat reste le cadre premier de l’organisation du prolétariat, le premier cadre permettant la défense des intérêts immédiats des travailleuses et des travailleurs, qui leur permettent de construire un collectif et donc rompre l’isolement et de fait l’aliénation au travail. Notre travail est donc de chercher à construire les syndicats tout en s’opposant à une ligne visant la cogestion bureaucratique. Reconstruire du lien pour rompre avec l’isolement, c’est ce que l’on cherche à construire dans l’ensemble des lieux d’intervention en particulier dans les lieux de travail qui sont des déserts syndicaux, construire des possibilités de se réunir et d’agir pour les salariés soi-disant free-lance, dans les petites entreprises, mais aussi sur une autre échelle construire des collectifs solidaires dans les quartiers populaires face à la violence de la police, face aux violences conjugales qui augmentent avec le confinement, face à la misère.

Dans le même temps, on le sait que les mobilisations à venir seront forcément complexes avec des revendications parfois confusionnistes. Comme nous l’avons fait lors des Gilets jaunes, il faut absolument être partie prenante de ces mobilisations en y tirant le mouvement ouvrier et en avançant des revendications qui clarifient le rapport à la classe.

Se construire dans la classe

Si le prolétariat n’a pas besoin du parti révolutionnaire pour se mobiliser et se révolter, le parti reste le facteur subjectif qui permet de passer de la révolte à la révolution3.

C’est pour cela que nous construisons un parti. Pour cela, il doit être le parti du prolétariat. À partir des constats faits précédemment sur la réalité à la fois du prolétariat aujourd’hui et de la réalité de ces mobilisations. Nous ne pouvons pas nous contenter de ce que sont aujourd’hui les organisations d’extrême gauche. Daniel Bensaid écrivait en 2000 : « À quelles conditions les nouvelles formes d’organisation du travail, l’individualisation du revenu et du temps de travail, la privatisation de la consommation, l’atomisation sociale généralisée face aux flux de richesse et d’information, permettront-elles la reconstruction de pratiques et de solidarités dont se nourrit une conscience collective ? À quelles conditions la fracture entre le mouvement social et les représentations politiques peut-elle être surmontée dans une société où l’espace public dépérit ?»

C’est donc à ces questions qu’il nous faut tâcher de répondre en reconstruisant les organisations syndicales, en recrutant des militantes et des militants ouvriers, mais aussi en prenant en compte cette diversité : construire un courant de classe dans le féminisme, se construire dans les quartiers populaires en participant aux terrains associatifs de défense concrète, recréer des espaces mutualistes quand il n’y a plus rien. Construire donc une organisation ouverte à l’ensemble de ces expériences, mais sans concessions avec l’État et pour la rupture révolutionnaire.