Publié le Vendredi 2 octobre 2009 à 18h15.

Luttes sociales, après la première vague...

Deux à trois millions de manifestants le 29 janvier puis le 19 mars, mais trois fois moins déjà le 1er mai, et vingt fois moins le 13 juin dans ce qui est apparu à tous comme un échec : les chiffres décroissants des journées nationales d'action parlent d'eux-mêmes. Ils montrent la puissance puis le reflux de la première vague de riposte à l'agression capitaliste. Combinés à la maigreur des résultats, ils mettent également en question la politique des directions syndicales. 

A nouveau, la France a fait relativement exception : les travailleurs y ont réagi avec force dès que la crise a commencé à impacter leurs conditions d'existence. Le premier semestre 2009 a vu l'entrée en lutte de larges secteurs du salariat. Tandis que des milliers de travailleurs du privé s'insurgeaient contre les plans de licenciements, des mouvements significatifs se sont aussi développés en défense des salaires et des conditions de travail, ainsi qu'en riposte aux contre-réformes néolibérales dans le secteur public. 

La nouveauté a été l'irruption du prolétariat industriel, à un niveau non atteint depuis de longues années. En particulier, dans le secteur de l'équipement et de la sous-traitance automobile, le premier à être frappé de plein fouet par les plans de restructuration. Des dizaines d'entreprises ont été le théâtre de grèves, manifestations, occupations, séquestrations. Si les salariés n'ont réussi qu'exceptionnellement à imposer le retrait pur et simple des licenciements, ils ont souvent arraché des concessions substantielles, notamment financières. A Continental-Clairoix, un tel résultat au bout de trois mois de lutte a été ressenti comme une victoire. Ailleurs, des succès partiels ont été enregistrés sur le paiement du chômage partiel, et quelques augmentations de salaire ont été engrangées. Preuve s'il en est que la lutte peut payer dès lors qu'elle s'organise dans la durée et montre sa détermination, en restant ferme sur les revendications et en ne craignant pas d'élever la confrontation à la hauteur de l'attaque patronale. 

Il reste que globalement, au niveau national et sur ce qui fait l'essentiel des problèmes et revendications, rien de tangible n'a été obtenu. Les patrons continuent de licencier à tour de bras et tentent même, dans certaines entreprises, de baisser les salaires en arguant de la crise. Et après que les principaux mouvements sectoriels (universités, hôpitaux, EDF-GDF) se sont soldés par des échecs, le gouvernement continue d'avancer dans ses contre-réformes. 

Directions et bases 

La politique des directions syndicales est aujourd'hui mise en cause dans de larges secteurs militants. En particulier, les journées d'action du « G8 » drivé par le couple CGT-CFDT, espacées et à répétition, polies et respectueuses, sans objectifs clairs ni plan de lutte, ont démontré leur inefficacité. Il est de plus en plus clair qu'il s'agissait en fait de canaliser le mouvement, en l'accompagnant voire en le précédant, avec l'espoir de faire un petit peu pression pour pouvoir exhiber quelques résultats ; et, surtout, de conjurer la menace d'une grève générale, remise au goût du jour par les travailleurs antillais et leurs directions syndicales non bureaucratiques. Confrontée à la montée de la contestation dans ses propres rangs, la confédération CGT défend sa politique à visage découvert : « Toute autre forme visant soi-disant à généraliser la grève, c'est plutôt pour affaiblir que pour renforcer l'action des salariés » (Mohamed Oussedik, membre du comité exécutif, le 12 juin). 

La forme de mobilisation défendue par la confédération CGT est en accord avec le contenu et la méthode du « diagnostic partagé » et du « dialogue social », repris dans la plate-forme commune des organisations syndicales : « le gouvernement doit mettre le ''social'' au centre de sa politique économique (…) le patronat doit, enfin, assumer ses responsabilités et engager des négociations… ». Le jeu de rôles devient plus évident. « Le gouvernement a plus que jamais besoin de syndicats "responsables" comme il aime à le dire, pour encadrer la contestation sociale » (Le Monde, 14 juin). 

Les responsabilités ne se limitent pourtant pas aux directions syndicales. Le PS d'un côté, le duo PC-PG de l'autre, ont apporté à cette politique un soutien total. Jean-Luc Mélenchon s'est signalé en répondant à la proposition du NPA d'une marche nationale contre les licenciements : « Cela  me trouble un peu. Le politique n'a pas à  surgir, comme ça, dans le mouvement social en donnant des consignes. Les syndicats, par leur unité, ont levé le couvercle de la résignation sociale. Notre responsabilité est de lever la résignation politique (…) A nous d'offrir une alternative politique plutôt que de faire des surenchères avec les syndicats » (Le Monde, 3 mai). Autrement dit, aux syndicats la cogestion des effets sociaux de la crise, aux partis de gauche celle des institutions. Peu après, sa seconde de liste aux européennes, la dirigeante PCF Cathy Daguerre, affirmait au journal Sud Ouest, dans des propos repris sur son blog : « Contrairement au NPA, l'objectif du Front de gauche est de gouverner, il prône ''la révolution par les urnes'' et nie l'intérêt d'une grève générale : ''on ne sait pas comment et sur quoi ça pourrait déboucher''. » 

Si cette politique est contestée voire combattue par de nombreuses équipes syndicales, elle n'a cependant pas été mise en cause à une échelle de masse, autrement que par défaut. Un large secteur des travailleurs était favorable à un mouvement d'ensemble, mais s'en remettait aux directions instituées et n'imaginait pas d'aller lui-même au-delà de la lutte dans son propre secteur ou sa propre entreprise. Les réactions de colère face aux bureaucraties syndicales se sont limitées à quelques cas (Caterpillar, EDF-GDF), de même que les processus d'auto-organisation (coordination nationale des universités), et les premiers éléments de convergence des luttes commencent seulement à apparaître (Continental-Goodyear). La première vague a été puissante mais ne s'est pas transformée en déferlante, parce que les salariés et la jeunesse n'ont pas trouvé les forces de surmonter les obstacles placés sur leur chemin. 

« Il y aura des situations difficiles… » 

« La question sociale n'est pas réglée, il y aura des situations difficiles à la rentrée, mais tout le monde s'est mis au travail, se concerte, avec une rapidité jamais vue », vient de déclarer le conseiller social de Sarkozy, Raymond Soubie. « Tout le monde » désigne évidemment ici les principaux acteurs institutionnels, dont la préoccupation commune est ainsi soulignée. Leur certitude partagée, c'est qu'il y aura bientôt d'autres luttes, une deuxième vague. 

Comment pourra-t-on alors dépasser les limites du premier semestre pour avancer vers un mouvement d'ensemble, une grève générale capable d'imposer l'interdiction des licenciements, l'augmentation des salaires et autres revendications urgentes, pour ne pas payer la crise du capitalisme ? Il n'y a pas de recette miracle, mais par leur action quotidienne au côté des travailleurs et d'abord dans les entreprises, combinée à un travail assidu d'explication politique, les militants anticapitalistes peuvent aider à débloquer la situation. 

Un débat public s'est ouvert dans les organisations syndicales comme politiques, plus généralement parmi les travailleurs, sur les solutions à apporter à la crise. A nous d'y participer pleinement, en apportant et défendant nos propositions. Interpeller les directions syndicales restera indispensable, mais le constat de carence « en haut » est tel que cette démarche ne peut jouer qu'un rôle d'appoint. Avant tout, il s'agira de faire partager, et vivre dans la lutte, l'idée que les travailleurs ne peuvent et doivent compter que sur l'énergie de leurs assemblées générales, l'intelligence, la puissance et la démocratie de leurs actions collectives et coordonnées. 

Jean-Philippe Divès