Publié le Samedi 7 novembre 2009 à 14h32.

Un état de la création palestinienne (par Pierre Baton)

L’Institut du monde arabe propose à Paris et jusqu’au 22 novembre une superbe exposition rassemblant 19 artistes palestiniens (dont 11 femmes), offrant un panorama d’une création contemporaine vivante et en colère.

Plus de dix ans après l’exposition Un Printemps palestinien qui, en 1997, posait un regard sur la création palestinienne, cette exposition rassemble des artistes contemporains de plusieurs générations, qui utilisent différents supports – vidéo, installation, peinture, photographie ou sculpture.

Au-delà de son intérêt proprement artistique, cette exposition est une manière d’affirmer que la culture palestinienne est vivante, qu’elle crée.

Une partie de ces artistes vient de la diaspora, l’autre continuant à vivre en Palestine.

Les œuvres exposées viennent donc de Jérusalem, de Gaza, de Cisjordanie, du Liban, de Jordanie ou encore de France, d’Angleterre et des États-Unis. Si, pour certains artistes, l’exil peut tendre à atténuer la dureté du propos des œuvres, tous reviennent dans leur expression au même sujet et semblent poser une même question : comment vivre et créer en pays occupé ? Comment, avec les outils de l’art contemporain, dire ce qu’est la vie et l’enfermement des Palestiniens ?

La mémoire, l’exil, l’occupation par l’armée israélienne, les camps de réfugiés, sont tour à tour évoqués dans chacune de ces œuvres.

Mais si celles-ci témoignent en permanence de la réalité de ce que vit aujourd’hui le peuple palestinien, elles sont aussi l’expression multiforme d’une création contemporaine dynamique.

L’exposition commence par une œuvre de Sharif Waked, qui vit à Nazareth. Cette vidéo, précédemment exposée à la Tate Modern de Londres, intitulée Chic point fashion for Israeli checkpoints, déroute d’abord : elle reprend tous les codes des défilés de mode, avec musique techno, spots, mannequins. Mais tous les vêtements que ceux-ci portent ont été dessinés pour laisser apparaître le ventre et le dos, et passer ainsi plus facilement les checkpoints. Le film se termine par une série de photos en noir et blanc prises sur des checkpoints où des soldats israéliens obligent les Palestiniens qui souhaitent passer à montrer leur ventre pour vérifier qu’ils ne transportent pas d’armes ni d’explosifs. Cette vidéo, avec un certain humour, rappelle le quotidien des Palestiniens obligés de se soumettre à des contrôles humiliants.

Taysia Batniji, un jeune artiste qui partage sa vie entre la France et la Palestine, propose une série de 26 photos qui représentent toutes des miradors de l’armée israélienne en Cisjordanie. Cette accumulation rappelle d’autres séries de photos d’artistes européens accumulant des éléments anecdotiques du paysage (châteaux d’eau, poteaux électriques...), et c’est justement cette banalité de la présence d’éléments de l’occupation que sont les miradors dans le paysage qui nous interpelle.

Comment dire les camps de réfugiés?

Emily Jacir a transformé une tente de réfugiés en mémorial pour les 418 villages palestiniens qui ont été détruits, dépeuplés et occupés par Israël en 1948. L’artiste, qui a exposé ses œuvres dans le monde entier et remporté plusieurs prix, notamment lors de la biennale de Venise en 2007, a invité de nombreux Palestiniens et Israéliens à broder eux-mêmes sur la tente le nom de ces 
418 villages. Ce mémorial particulier étonne par sa simplicité.

Sandi Hilal, propose, à travers deux vidéos, deux portraits de femmes qui parlent de leur vie quotidienne dans le camp de Fawwar, et en donnent une vision ambivalente.

Dans la première une femme témoigne longuement : «J’aime le camp. C’est notre quotidien. On ne devrait pas mal le juger». Malgré les difficultés de la vie quotidienne, elle a fini par aimer le camp, parce que c’est là qu’elle vit, que ses enfants sont nés, que des solidarités se développent. L’autre vidéo propose, elle aussi, le témoignage d’une femme, qui a sensiblement le même âge, mais qui dit au contraire l’enfermement, le contrôle et le jugement des voisins, des habitants les uns sur les autres : «Ainsi, vous ne trouverez pas d’échappatoire pour vos passions et vos rêves à Fawwar». L’artiste, architecte à Beit Sahour, mène au travers de cette œuvre et d’autres une réflexion sur les « formes de résistance spatiale ».

« Jérusalem, we have a problem ! »

L’un des films de Larissa Sansour, qui vit à Copenhague, joue sur un registre beaucoup plus drôle. A Space Exodus se déroule dans l’espace, au cours d’une mission spatiale, et nous plonge dans l’ambiance du film 
2001 Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, ou dans les images de l’alunissage d’Armstrong. On découvre que l’équipage a sur le bras de son costume de spationaute le drapeau palestinien. Une femme sort du vaisseau spatial, pour aller fouler le sol lunaire «c’est un petit pas pour une Palestinienne, un grand pas pour l’Humanité» puis elle plante le drapeau palestinien sur la surface de la lune. Cette vidéo, qui nous projette loin dans l’avenir, est une des seules notes d’espoir de l’exposition, qui imagine dans un futur indéfini mais optimiste l’existence d’un État palestinien.

En attendant que la Palestine dispose d’un État et d’un musée d’art contemporain, cette exposition permet de mesurer à quel point être un artiste palestinien implique d’être un artiste politique.

On peut tout de même s’étonner de trouver comme mécène de cette exposition la fondation Total, le sol palestinien ne regorgeant manifestement pas de pétrole et la défense des peuples opprimés n’étant pas un souci majeur de la compagnie pétrolière.