Publié le Jeudi 24 décembre 2009 à 18h42.

Premiers enseignements des élections allemandes et portugaises

Les élections législatives allemandes et portugaises confirment des tendances lourdes de la situation en Europe. La droite l’emporte en Allemagne, mais ces élections expriment surtout la persistance d’une abstention massive, un recul historique de la social-démocratie et une nouvelle percée de la gauche radicale.

En Allemagne, le SPD a perdu plus de 4,5 millions de voix depuis 2005 et, avec 23 % des suffrages exprimés, son score est le plus faible depuis 1949. De fait, depuis dix ans, le SPD a perdu 10 millions de voix, car il avait déjà connu une première sanction électorale, en 2004, après la politique de liquidation des acquis sociaux menée par le gouvernement Schröder, notamment la réforme « Hartz IV » (réduction brutale des droits des chômeurs et des salariés). Cette politique a été approfondie par le gouvernement de « grande coalition » entre la CDU-CSU et le SPD, et les liens avec le mouvement syndical et l’électorat traditionnel de la social-démocratie se sont distendus. Ces changements ne sont pas conjoncturels : ils sont le résultat d’un processus où, prenant la responsabilité directe des politiques néolibérales, la social-démocratie a perdu une partie substantielle de sa base sociale et politique.

L’exemple portugais en est une illustration saisissante. Le PS a lui aussi perdu plus de 9 % de ses électeurs. Il a, avec arrogance et brutalité, poursuivi et aggravé la politique de contre-réformes sociales de José Manuel Barroso, ancien dirigeant du PSD – parti de la droite portugaise – et actuel président de la Commission européenne. Face à la crise, le gouvernement de José Socrates a soutenu les banquiers et démantelé le code du travail, encouragé la précarité, organisé une contre-réforme de l’enseignement et attaqué la fonction publique. Officiellement, le nombre de chômeurs a dépassé les 500 000 et la moitié ne bénéficient pas d’allocations chômage. Bref, le gouvernement Socrates a été une caricature de « blairisme ». Du coup, l’électorat socialiste s’est massivement abstenu – un record : 39,46 % des inscrits – et s’est déplacé significativement sur sa gauche, surtout vers le « Bloco », le Bloc de Gauche.

Cette évolution sociale libérale et ce recul de la social-démocratie, conjugués à des éléments de résistance sociale, même partielle, ouvrent un espace pour la gauche radicale. La progression électorale de Die Linke en Allemagne ou celle du Bloco en témoignent, au-delà de la spécificité des situations nationales, des systèmes électoraux (représentation proportionnelle) et des orientations politiques de chaque parti.

Percée de Die Linke…

Die Linke s’est maintenant installé dans la vie politique allemande. De 8,7 % et 54 élus en 2004, il passe à 11,9 % et 76 élus en 2009. Il franchit la barre des 5 % dans tous les Länder à l’uest et obtient une moyenne de 8,3 % dans l’ex-RFA et de 26,4 % dans l’ex-RDA. Il a aussi obtenu de bons résultats aux élections régionales : plus de 20 % dans les Länder à l’Est. Mais aussi à l’Ouest : 6 % dans le Schleswig-Holstein et 21 % dans la Sarre, le Land d’Oskar Lafontaine, où celui-ci a représenté, des années durant, la social-démocratie et représente, aujourd’hui, Die Linke.

Ces résultats confirment que Die Linke constitue une des traductions principales de l’électorat de gauche qui résiste et recherche les voies d’une alternative aux politiques néolibérales. Dans la situation et l’histoire du mouvement ouvrier allemand, Die Linke constitue incontestablement un pas en avant dans la réorganisation du mouvement ouvrier. Et sa progression électorale peut encourager nombre de salariés et de militants à engager la lutte pour leurs revendications. Mais cela ouvre en même temps une discussion d’orientation : que va faire la direction de Die Linke de cette victoire ? Die Linke a une responsabilité majeure pour construire, avec d’autres, une contre-offensive du monde du travail, des jeunes et des écologistes, face à la politique ultra-droitière du gouvernement CDU-CSU et FDP (libéraux). À l’Ouest, nombre de militants et de courants veulent faire de Die Linke un parti de lutte contre la crise sur une orientation anticapitaliste. Mais ce n’est pas le projet de la majorité de la direction pour qui l’horizon reste la reconstitution de « l’État social », « l’État providence » des années 1970, et dont les revendications s’inscrivent dans cette perspective. Elle vise, surtout dans une logique institutionnelle, des alliances avec le SPD pour gérer l’État et l’économie capitaliste. Rappelons que l’ossature de Die Linke à l’Est de l’Allemagne représente des secteurs de l’ancien PDS, « parti-État » de l’ancienne RDA. Die Linke gère déjà la ville de Berlin avec le SPD. Oskar Lafontaine a déclaré vouloir un gouvernement commun SPD-Die Linke pour la Sarre. Arithmétiquement, de telles alliances gestionnaires seraient également possibles en Thuringe, dans le Brandebourg ou en Saxe-Anhalt. Ces projets dépendront aussi de l’attitude de la social-démocratie. À ce jour, excepté à Berlin, la direction du SPD a refusé les alliances avec Die Linke. Le refus de la direction de Die Linke de soutenir l’envoi de troupes en Afghanistan constitue un obstacle dans la voie d’alliances parlementaires nationales. Mais, déjà, des voix s’élèvent de certains secteurs de Die Linke pour demander un changement de position sur ce point. Enfin, la défaite électorale de la social-démocratie peut conduire à des inflexions ou des repositionnements plus à gauche de secteurs qui, en son sein, accepteraient alors ces alliances. Si une telle politique se concrétisait, elle ouvrirait la voie à une véritable intégration de Die Linke dans la politique gouvernementale en Allemagne.

… Et du Bloco de Esquerda

Au Portugal, au contraire, c’est la nouvelle gauche radicale, clairement anticapitaliste, qui progresse à nouveau. Né en 1999, le Bloc de gauche a conquis de nouvelles positions, d’élection en élection. Cette progression cumulative sur une orientation anticapitaliste a débouché sur le succès historique actuel. Avec 557 091 suffrages (9,85 %) – contre 364 430 (6,35 %) en 2005 – il double sa représentation parlementaire (16 élus). Mais, surtout, il obtient une véritable représentation nationale, avec des députés non seulement à Lisbonne, Porto et Setubal, mais également à Aveiro, Braga, Coimbra, Faro, Leiria et Santarem. Il devient le quatrième parti national, devançant le PCP qui, avec 446 172 voix (7,88 %) progresse de 14 163 votes par rapport à 2005 et obtient 15 députés, soit un de plus.

Ces dernières années, le Bloco a occupé le terrain par des campagnes et des mobilisations contre les politiques néolibérales. Et, dans le cadre parlementaire, il a su aussi défendre une série de propositions en faveur des droits démocratiques et sociaux. Il a ainsi marqué la vie politique sur des questions comme le droit à l’avortement ou les lois bioéthiques. Face à la crise, dans une situation sociale difficile marquée par un faible niveau d’activité du mouvement social, il s’est opposé aux projets du gouvernement qui visaient à sauver les banquiers ; il a exigé que ces derniers paient la crise et ses conséquences. Il a toujours développé cette politique en maintenant une ligne indépendante de la social-démocratie. À la question posée, notamment dans les derniers jours de la campagne électorale, sur d’éventuels accords de majorité parlementaire ou de gouvernement avec le PS portugais, la réponse de Francisco Louça, un des principaux animateurs du Bloco, a été claire et nette : « Elle se résume en trois lettres : Non (Nao) ». Cette prise de position est un exemple et un point d’appui pour toute la gauche anticapitaliste européenne dans les batailles politiques à venir.

Le soir même de cette victoire électorale, le Bloco a précisé ses priorités, ses mesures d’urgence, pour l’aide sociale aux chômeurs que Socrates avait supprimée, pour l’abrogation du nouveau code du travail, contre les projets d’évaluation des enseignants, pour un impôt sur les fortunes afin de financer une augmentation du salaire minimum et la retraite après 40 années de travail. Commentant ces résultats, Alda Sousa (ancienne députée du Bloco) écrit : « Au Parlement, le Bloc et le PC ont ensemble 31 élus, représentant 18 % des voix. Jamais un résultat pareil ne s’était produit à la gauche du PS. Minoritaire au Parlement, le PS va être obligé de choisir de faire passer des propositions de gauche – comme celles que nous présenterons et qui découlent de notre programme et de notre mandat – ou bien s’allier à la droite réactionnaire que représente le PP. Le cadre politique est plus polarisé. Les luttes politiques et sociales vont croître dans les mois à venir. Elles pourront compter sur le Bloco, qui est plus fort que jamais ».

François Sabado