Publié le Vendredi 8 janvier 2010 à 16h11.

Mur de Berlin : ni fleurs ni couronnes (par Hélène Viken)

Cette contribution est une réaction au dossier paru dans Tout est à nous ! La revue n°3, concernant la chute du Mur de Berlin.

L a chute du mur de Berlin représenta pour ma génération une double révélation : nous eûmes confirmation du fait, fort rassurant, que la volonté d’émancipation des masses était plus forte que tout ; mais aussi, plus douloureusement, nous comprîmes que les dégâts opérés par le « socialisme réellement existant » – c’est ainsi que, par dérision, on désignait alors les régimes en vigueur en Europe de l’Est – étaient tels qu’il faudrait d’autres expériences fondatrices fondamentales, d’autres révolutions, pour renouer avec l’idée même d’utopie communiste.

Rappelons d’abord que le mur est tombé sous les assauts d’une jeunesse déterminée qui s’était emparée des mois auparavant de tous les débats démocratiques, remettant en cause le caractère dictatorial, anti-démocratique, mais aussi rétrograde et anti-jeunes du système post-stalinien régnant en RDA.

On pourrait même utilement rappeler que ce mur n’a nullement été construit pour « protéger la jeune démocratie populaire d’Allemagne de l’Est » des menaces militaires des forces de l’Otan, mais pour empêcher la population d’Allemagne de l’Est de fuir vers l’Ouest, ce qu’elle n’avait cessé de faire durant la décennie précédente. Ou encore, qu’une fois le mur construit, beaucoup d’Allemands ont quand même tenté de « fuir » malgré le risque que cela représentait, alors que l’inverse n’a jamais existé. La vérité n’est jamais l’ennemi de la révolution et des lumières, bien au contraire. Notre génération qui vint à la politique au moment où mouvement anticolonialiste et anti-impérialiste des pays du tiers-monde a connu son plus grand essor, ne peut pas oublier le rôle catastrophique contre-révolutionnaire qu’a joué la domination mondiale du bipolarisme entre le capitalisme de l’oncle Sam et le post-stalinisme dominé par l’URSS.

Non, ces régimes n’ont jamais été, peu ou prou, des régimes qui avaient « exproprié » les classes exploitantes, qui avaient créé des « rapports de production » débarrassés de l’exploitation économique comme l’affirmaient encore à l’époque certaines théories présentes au sein de la gauche révolutionnaire. J’ai souvenir à quel point les partisans sincères de ces théories se sont obstinés jusqu’au 9 novembre 1989 au matin à affirmer que les masses ne pouvaient pas manifester pour la réunification de l’Allemagne, car cette réunification se ferait forcément sous l’égide de la RFA, donc sous régime capitaliste libéral « classique ». Le peuple de l’Est ne pouvait pas vouloir de cela ! Il ne pouvait que vouloir se débarrasser de sa bureaucratie « étouffante » pour retrouver l’authenticité des rapports non capitalistes.

Mais le soir, le mur tombait sous les assauts de dizaines de milliers de manifestants qui avaient multiplié depuis des mois les démonstrations de leur volonté politique de démocratie et de changement. Alors voulaient-ils le capitalisme de l’Occident ? Ce serait trop simple de répondre par oui ou par non.

Ils ne voulaient plus du régime qui les opprimait depuis cinquante ans. Ils ne trouvaient aucun « avantage » d’aucune sorte à ce système. La liesse et l’enthousiasme qui suivirent la révolution de novembre 1989 n’a connu ni contradiction ni tiédeur dans sa détermination à ce sujet. Les idées de « troisième voie » ont également été joyeusement balayées au nom de la liberté. Ces systèmes étaient en panne de développement économique, culturel et social et imposaient à leurs administrés un joug policier impitoyable qui ne s’embarrassait même plus de justifications idéologiques. Il n’y avait rien à « sauver ». Bien au contraire serait-on tenté de dire : la destruction totale de ce système sans la moindre place pour une nostalgie dangereuse est une condition sine qua non de la réhabilitation future d’un projet d’émancipation anticapitaliste authentique qui entraînent dans son sillage une majorité des exploités de par le monde.

L’effondrement de l’ensemble du bloc soviétique s’est alors opéré en quelques mois et le prix à payer de cette monstrueuse déviation de l’histoire a été le triomphe – passager… – du capitalisme comme horizon « indépassable ». Car, à l’inverse, la force apparente du capitalisme s’est révélée être sa faiblesse dès lors que, système unique, il n’était plus contesté par un autre. Le capitalisme a perdu son double, son côté obscur, son ennemi intime, celui qu’il pouvait désigner comme l’épouvantail, la « vraie » nature du socialisme, pour en faire un repoussoir commode à toutes les velléités d’émancipation, qui ont été prisonnières durant des décennies de ce choix infernal.

Le xxie siècle permettra, n’en doutons pas, d’inventer d’autres routes et d’expérimenter d’autres stratégies pour mettre à bas le système capitaliste qui met désormais la planète elle-même en danger.