Publié le Mardi 12 janvier 2010 à 08h01.

BD : la der des ders

La guerre 1914-1918 a inspiré les auteurs de BD et, obligés de se creuser les méninges et d’aiguiser leurs crayons pour ne pas refaire du Tardi, de nombreux auteurs ont fait preuve cette année d’une grande créativité.

Depuis C’était la guerre des tranchées, Tardi constitue un modèle incontournable de la guerre en BD. En collaboration avec l’historien Jean-Pierre Verney, il livre un nouvel album, Putain de guerre!, au ton résolument antimilitariste, à travers le journal d’un ouvrier mobilisé. La description minutieuse du quotidien des soldats, le sens du détail de Tardi et l’important dossier documentaire en font un ouvrage précieux et un travail indépassable sur le plan de la reconstitution.

Xavier Dorison et Enrique Breccia, dans Les Sentinelles, utilisent le contexte de la guerre pour créer un super-héros de comics à la française, avec Taillefer, un scientifique mutilé transformé en surhomme par l’armée et tenaillé par le doute.

Franck Bourgeron adapte un roman de François Sureau pour livrer L’Obéissance. Dans ce récit à plusieurs voix, les Français sont sollicités par le gouvernement belge en exil pour prêter leur bourreau afin d’exécuter un détenu de droit commun condamné à mort par la justice belge en territoire allemand. Bénéficiant d’un sauf-conduit de l’armée allemande, un lieutenant français se voit chargé de la mission absurde d’escorter en territoire belge le bourreau national et sa guillotine. Spectacle dérisoire de pays belligérants qui suspendent un moment la guerre pour laisser sa place à la raison d’État…

Ce thème du fonctionnement routinier de la justice persistant malgré la guerre est aussi celui abordé par Kris, avec Notre Mère la Guerre, sur les pas d’un lieutenant de gendarmerie, militant catholique, envoyé sur le front de Champagne en 1915, pour résoudre des meurtres mystérieux de femmes. Occupé à chercher un assassin parmi tous les «assassins» autorisés de la première ligne, il se rend compte que la haine des femmes, rendues responsables de n’avoir pas empêché les hommes de s’entretuer, est sans doute à l’origine des crimes.

Lax, enfin, s’intéresse à l’immédiat après-guerre. Dans L’Aigle sans orteils, il retraçait l’histoire d’Amédée Fario, coureur cycliste malgré des orteils amputés, qui mourait sur le front en 1917. Dans Pain d’alouette, il suit les traces des survivants. À travers les destinées de la fille d’Amédée, Reine, et d’un ancien compagnon d’échappée, Quentin Ternois, inapte au cyclisme car victime des gaz pendant la guerre, Lax nous emmène dans les orphelinats de l’après guerre, où les jeunes filles étaient éduquées dans l’idée de repeupler la France, et dans le Nord-Pas-de-Calais des mineurs et du Paris-Roubaix. Un récit splendide sur fond de lutte des classes, de luttes politiques et contre l’ordre moral, et d’amour du cyclisme, sport ouvrier et populaire par excellence dans ces années 1920.

Soulignons enfin le talent des dessinateurs, Tardi, Maël ou Bourgeron, qui, dans la lignée des Otto Dix, Georges Grosz ou Fernand Léger, ont puisé dans l’horreur leur inspiration.

Sylvain Pattieu

Tardi, Verney, Putain de guerre!, tome 2, 21 euros

Breccia, Dorison, Les sentinelles, Delcourt, 14,95 euros

Franck Bourgeron, L’Obéissance, Futuropolis, 17 euros

Maël et Kris, Notre Mère la Guerre, Futuropolis, 16 euros

Christian Lax, L’Aigle sans orteils, Dupuis, 12,94 euros

Christian Lax, Pain d’alouette, Futuropolis, 16 euros