Publié le Lundi 8 mars 2010 à 22h43.

Guadeloupe : un an après les événements …

 

Entretien avec Élie Domota

Fin décembre, quelques jours avant la manifestation qui a réuni 20 000 personnes à Pointe-à-Pitre, le 9 janvier, rencontre Élie Domota, porte-parole du LKP, secrétaire général de l’UGTG (Union générale des travailleurs de Guadeloupe), et directeur de Pôle Emploi à Morne-à-l’Eau. Il nous expliquait que les engagements pris par l’État n’étaient pas tenus et que la mobilisation restait à l’ordre du jour.

Depuis la grève générale, où en est le LKP ?

Le mouvement a commencé le 16 décembre 2008 avec 7 000 personnes dans les rues. Mais les premières rencontres se sont passées le 5 décembre 2008, avec une intersyndicale et des discussions concernant le prix du carburant. Le 17 décembre, la grève générale a débuté.

Encore aujourd’hui, le LKP reste mobilisé, alors que l’État fait tout pour nous endormir. Ils ont inventé les états généraux pour calmer le jeu, mais sans aucune volonté. La nomination de Marie-Luce Penchard (secrétaire d’État chargée de l’outre-mer et secrétaire nationale de l’UMP en charge de l’outre-mer) a été de la poudre aux yeux. Nicolas Sarkozy a joué sur l’affectif des Guadeloupéens en la nommant ministre, mais son objectif reste les régionales.

Quelles sont celles de vos revendications qui sont acquises et celles qui ne le sont pas ?

Certaines sont encore en négociation… Ça va se faire point par point…

La réponse de l’État sur les prix imposés des grands distributeurs est « la liberté de circulation des prix ». C’est-à-dire davantage de créations d’hypermarchés pour faire jouer la concurrence et faire baisser les prix. Ils se foutent de nous !

Une autre des réponses, c’est la création d’un grand port à Pointe-à-Pitre pour une redistribution maritime des marchandises dans toutes les Caraïbes. Résultat, des terres agricoles disparaissent au profit de la création d’hypermarchés et des zones maritimes lors de la création du port. C’est de l’exploitation ! De plus, ce qui est cultivé est voué exclusivement à l’exportation pour la France.

En définitive, l’État a pris des engagements mais il ne va pas les respecter, d’autant qu’il traîne déjà des pieds sur certains.

Les aides attribuées par l’État sont des allocations pour les personnes âgées et pour les agriculteurs. Mais rien n’avance en ce qui concerne la « profitation ».

Pour plus de la moitié d’un échantillon d’environ 75 produits importés de France, les écarts de prix en magasins avec la France dépassent les 55 %. Ce pourcentage est trop élevé pour trouver sa source dans les frais de transport. Et avec les marges de certains grossistes, certains produits sont plus chers de 100 %. Et lorsqu’on interpelle l’État, il ne donne aucune réponse, et pire, il est complice, car il laisse faire. Sa seule réponse c’est « la libre circulation des prix » et favoriser la concurrence des hypermarchés !

Une deuxième revendication est en cours de discussion ; c’est sur les prix des carburants, que nous avions fait baisser. Mais Mme Penchard souhaite le faire augmenter à nouveau. Notre objectif principal est de créer un vrai service public du carburant.

Pour le moment l’État concentre son activité à essayer de nous faire payer les 110 millions d’euros que réclame Total pour compenser ses pertes pendant la grève générale.

La formation des jeunes est un des autres points urgents, mais il n’y a rien encore. 60 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. Les élus n’arrêtent pas de nous promettre des plans de développement, mais nous ne voyons rien venir. Depuis des dizaines d’années l’État attribue aux entreprises qui font des bénéfices des millions d’euros de subventions et de crédits d’impôt toujours pour l’emploi de nos jeunes. Les jeunes Guadeloupéens sont-ils plus bêtes ? Non je ne crois pas, on ne se donne pas les moyens, c’est tout !

Nous souhaitons qu’un plan d’urgence pour la formation professionnelle et pour l’emploi des jeunes soit rapidement mis en place. Ce qui éviterait à certains de se demander pourquoi les jeunes restent toute la journée à rien faire et pourquoi parfois, ils ont envie de tout casser…

C’est l’éducation en général qu’il faut revoir car seul un enfant sur trois arrive au bac, et chaque année entre 800 et 1 000 jeunes sortent du cursus scolaire sans diplôme…

Les fameux 200 euros ont-ils été perçus ?

Les 200 euros sont pour les salaires les plus bas (inférieur à 1,4 Smic hors prime). Pour soutenir les entreprises, l’État et les collectivités départementale et régionale décident d’apporter leurs contributions. L’État donne un montant de 100 euros et les collectivités de 25 à 50 euros selon la taille de l’entreprise. Pour ceux qui l’ont perçu, cela ramène le Smic à 1 500 euros. L’employeur bénéficie de quelques exonérations de cotisations salariales et patronales. Mais certaines entreprises oublient de donner tout ou partie de leur part, ce qui crée de la discrimination salariale.

Le LKP exige l’application intégrale de l’accord initial Jacques Bino.

On a souvent accusé le LKP d’être la cause de nombreux licenciements, quel est votre bilan ?

Les hypermarchés tels que Ecomax, Match, Cora… ont comme projet depuis deux ans de se retirer de la Guadeloupe. Ils n’ont pas attendu le mouvement de grève pour démarrer leurs plans de licenciement. Bien sûr, ils profitent des mouvements de grève pour accélérer les choses et pour nous désigner comme boucs émissaires.

Certaines de ces entreprises sont en redressement judiciaire. D’ailleurs le chômage a augmenté de 25 % sur l’année 2009 en France alors qu’en Guadeloupe, il est à 10 % malgré le LKP.

Lors des états généraux, il a été aussi question du rapport entre la Guadeloupe et la Métropole. Qu’en pensez-vous ?

Ce qui est en cause n’est pas le rapport entre la Métropole et la Guadeloupe mais entre la France et la Guadeloupe.

Les Békés ont l’autorisation de l’État de continuer à exploiter les Guadeloupéens.

Et c’est nous que l’on traite de racistes. On se rend vite compte que le problème pour la Guadeloupe est d’abolir les privilèges pour que vivre ensemble ait du sens.

Le LKP s’est-il positionné pour « l’indépendance » de la Guadeloupe ?

Le LKP est là pour défendre le peuple. C’est au peuple de décider ce qu’il veut.

Le LKP est un mouvement de masse anti-capitaliste et anticolonialiste. La réalité est que les productions agricoles par exemple sont là pour servir la France. Ça n’a pas changé depuis des centaines d’années.

Cette histoire a des répercussions dans nos vies aujourd’hui. On ne peut pas effacer 300 ans d’esclavage. Et avec la stigmatisation vieille de 300 ans, il en résulte de la discrimination entre blancs et noirs, mais aussi entre noirs.

Cela fait partie des dettes coloniales. Le noir va croire qu’il ne peut rien faire de bon sans l’aide d’un blanc. Au début du mouvement de nombreuses personnes ne misaient pas sur la longévité du LKP à cause de cela !

Le LKP est cité comme modèle dans les mouvements sociaux à Mayotte, en Martinique, en Guyane mais aussi en France. Qu’en pensez-vous ?

Le combat du LKP est un combat mondial contre la « profitation ». Fédérer le modèle de combat est une bonne chose. La réussite du LKP et du mouvement provient aussi de l’accumulation de combats antérieurs.

Comment va se positionner le LKP pour les régionales ?

Le LKP ne se présentera pas, il n’aura pas de liste, il n’ira à aucune élection et ne soutiendra aucune liste, car le LKP est un mouvement de masse non conventionnel. Le but est de continuer de se mobiliser.

Le combat actuel concerne les prix de l’essence. Le LKP à travers le combat pour la baisse du prix du carburant démontre encore une fois le mécanisme de la « profitation ». D’ailleurs, ni la classe politique ni les patrons ne contestent ces accusations.

Des mobilisations vont certainement suivre, des grèves d’avertissement ont eu lieu et ça risque de continuer...

La population guadeloupéenne est unanime pour dire que le LKP a mis en évidence un problème de politique ancienne et des problèmes économiques inchangés depuis l’esclavage. Le LKP a mis tous ça en lumière. Grâce à cette formation associative, politique et syndicale, c’est la prise de conscience de toute une population qui ressort de ces « événements ». Cette force solidaire a permis à la population de prendre confiance pour faire valoir ses droits.

Personne n’aurait parié sur la longévité exceptionnelle du LKP. Plus de dix mois après les événements, 15 000 personnes étaient dans la rue. Ce qui représente une « grosse» mobilisation proportionnellement à celle de Paris. Le LKP entre dans l’histoire de la Guadeloupe et de la France. C’est un modèle de soulèvement social populaire et solidaire.

Propos recueillis par Nsuni Met.