Publié le Mardi 9 mars 2010 à 22h08.

Les îles du vent  : le premier manga antillais

 

Dans la bande dessinée, le manga tient une place à part. Si sa diffusion et sa lecture se font partout dans le monde (souvenez-vous de Dragonball Z !), sa production reste presque entièrement cantonnée à l’Asie, au Japon principalement, mais aussi en Corée du Sud. L’une des particularité des récits des mangas, c’est qu’il s’agit souvent de séries, certaines dépassant les vingt volumes. Chaque volume pourrait être comparé à un épisode de série télé.

Mais c’est dans la structure même du récit que l’on trouve le principal intérêt des mangas. Des histoires aux scénarios relativement complexes, et surtout des personnages qui n’incarnent pas nécessairement le bien ou le mal, mais le plus souvent des positions complexes, ambivalentes.

Si la plupart du temps souvent les personnages ont pour principale activité d’en découper d’autres en deux avec un sabre ou de détruire des humanoïdes avec des pistolets laser (certains sont d’ailleurs excellents dans ce genre), il existe aussi des mangas qui sont davantage des chroniques de la vie sociale.

On peut citer pour exemple l’œuvre de Shuho Sato, Say hello to Black Jack, du nom du principal hôpital de Tokyo (13 volumes), qui à travers les aventures d’un jeune interne en médecine, raconte et dénonce le fonctionnement du système de santé japonais. Ce manga a eu un succès considérable au Japon et a largement contribué à lancer un débat sur la santé publique.

Les vents de la colère de Yamagami Tatsuhiko, raconte lui les mouvements de contestation étudiante des années 1960 et bouscule parfois violemment les valeurs de la patrie, de la famille, de l’honneur.

Une petite maison d’édition caraïbe vient de se lancer dans la publication du premier manga antillais.

Ce récit nous permet de voir comment la chasse aux immigrés se déroule ailleurs qu’en métropole. Comment l’Europe forteresse crée des drames humains à plusieurs milliers de kilomètres.

L’histoire se passe donc en Guadeloupe en 2009. Toutes les polices de l’île se livrent à la chasse aux Haïtiens qui fuient leur pays ravagé par la misère et l’insécurité. La population locale exprime bien souvent elle-même des sentiments xénophobes et peu d’entre eux sont disposés à leur venir en aide.

Dionine, une jeune antillaise de père guadeloupéen et de mère martiniquaise, en pleine crise d’identité, se trouve sans le vouloir au cœur de ce dilemme social. Or, au moment où Dionine rentre d’un voyage linguistique à La Barbade, le chien de la famille débusque dans un bosquet du jardin un jeune Haïtien, Adama, qui s’était réfugié là... Faut-il livrer Adama à la police ou lui porter secours ?

Par ailleurs, Dionine est attirée par Yann, un jeune douanier blanc d’origine bretonne, autre type « d’étranger », pas toujours bien vu dans le coin...

Les auteurs

Hector Poullet, scénariste de ce manga, est par ailleurs un défenseur du créole et de sa pratique. Il a également publié une grammaire français/créole. Élodie Koeger, dessinatrice, dont le trait est tout autant influencé par la culture japonaise que par la BD franco-belge vient d’Alsace et réalise ici sa première bande dessinée.

Bien sûr, la structure du récit souffre de quelques imperfections, le dessin n’a pas l’énergie et la puissance des mangas japonais (au Japon, les mangas sont dessinés en équipe. L’auteur, le mangaka, s’occupe du scénario et des principaux éléments graphiques, personnages etc., ses assistants, du tramage, des détails du décor ou de la répétition des dessins).

Quoi qu’il en soit, ce premier essai est passionnant. Car ce récit qui s’ancre dans la Guadeloupe de 2009, mêle l’histoire des Coulis indiens (« importés » d’Inde après l’abolition de l’esclavage pour remplacer en partie les esclaves), des métropolitains, des immigrés clandestins venus d’Haïti. Le racisme, la chasse aux immigrés, la mémoire de l’esclavage (mais aussi l’alcool et l’amour ) sont au rendez-vous, bref l’histoire sociale et politique des Caraïbes est omniprésente dans ce récit.

On attend avec impatience la publication des deux tomes suivants des Îles du vent. L’amour triomphera-t-il des préjugés xénophobes ? Adama et sa sœur enceinte, parviendront-ils à échapper aux douaniers et à la police ?

Pierre Baton