Publié le Vendredi 7 mai 2010 à 14h39.

Quartiers populaires : reconstruire une gauche de transformation sociale

Les habitants des quartiers populaires qui subissent au quotidien les effets de la crise combinés aux discriminations de toutes sortes ont développé une méfiance vis-à-vis des partis politiques de gauche. Il s’agit aujourd’hui de rétablir les liens avec le mouvement social si la crise économique et les contre-réformes libérales du gouvernement frappent de plein fouet l’ensemble de la société française, les effets en sont décuplés dans les quartiers populaires.

Or leurs habitants, trop souvent à l’écart du mouvement social, doivent la plupart du temps affronter seuls les discriminations de toutes sortes, les violences policières ainsi que les discours et la politique racistes du gouvernement.

Reconstruire une gauche de transformation sociale dans les quartiers populaires ne pourra pas se faire sans renouer largement avec les acteurs sociaux et plus généralement avec les habitants.

Mais il faudra également une meilleure prise en compte de leurs revendications spécifiques et repenser l’articulation entre les questions sociales et les oppressions racistes dont ils sont victimes.

La crise des quartiers c’est d’abord une crise sociale aggravée par des discriminations racistes. La dernière étude disponible de l’Observatoire nationale des zones urbaines sensibles (751 zones regroupant près de 5 millions de personnes) publiée fin 2008, montre que la part des habitants vivant sous le seuil de pauvreté (908 euros mensuels) est trois fois plus importante qu’ailleurs (33,1 % contre 12 %). Le taux de chômage frôle les 20 % (40 % pour les jeunes) et il a augmenté de près de 60 % depuis janvier 2008 (+104 % pour les jeunes diplômés bac+ 3 et plus).

Et quand on sait que la vie quotidienne des habitants des quartiers est rythmée par le harcèlement policier, les contrôles d’identité au faciès, les humiliations, les descentes de police et interpellations musclées, comment s’étonner que les jeunes des quartiers laissent parfois éclater leur colère quand un habitant de plus meurt lors d’une énième intervention policière ?

Si la révolte des quartiers en octobre- novembre 2005 reste dans les mémoires, il y a aussi eu, entre autres, les Minguettes en 1981, Vaulx-en-Velin en 1990, Mantes-la-Jolie en 1991, La Duchère et Dammarie-les-Lys en 1997, Villiers-le-Bel en novembre 2007…

Des révoltes politiques

Il faut à tout prix refuser de cautionner le discours de la droite et d’une partie de la gauche qui cherchent à occulter la crise sociale, les discriminations et les violences policières comme causes principales de ces révoltes. Leur objectif est de les dépolitiser en les présentant comme barbares et en décrivant les révoltés comme des délinquants.

Sarkozy ministre de l’Intérieur à l’époque n’hésitait pas en 2005 à affirmer que  « 75 à 80 % » des « émeutiers » interpellés étaient des « délinquants bien connus » et que ces « émeutes » traduisaient leur volonté de « résister à l’ambition de réinstaurer l’ordre républicain » alors qu’une étude des comparutions immédiates au tribunal de Bobigny montrait l’exact contraire.

Certains à gauche, y compris parmi la gauche antilibérale et anticapitaliste, prêtent le flanc à ce genre de discours en présentant les « révoltés » comme appartenant au « lumpen prolétariat » et donc comme des adversaires du monde du travail.

Il ne s’agit pourtant pas de nier les limites et les contradictions de ces révoltes. Une fois n’est pas coutume, les Renseignements généraux n’avaient pas complètement tort quand ils décrivaient en 2005 « une forme d’insurrection urbaine non organisée », une «  révolte populaire des cités sans leader et sans propositions politiques ».

On pourrait d’ailleurs presque décrire de cette manière toutes les révoltes plus localisées qui éclatent assez régulièrement dans les quartiers populaires suite à des bavures policières.

Des tentatives d’organisation

Cependant, à la suite de ces drames, les habitants du quartier organisent des marches silencieuses, créent très souvent des collectifs de soutien et, parfois même, des associations pérennes comme Agora à Vaulx-en-Velin ou Bouge-qui-Bouge à Dammarie-les-Lys en 1997.

Le sociologue Abdellali Hajjat écrit même que « malgré l’aspect ponctuel de ces mobilisations, elles ont permis un mode de socialisation politique et l’émergence de véritables militants parmi les habitants du quartier et contribué à la production d’un discours politique relativement cohérent… »

Il faut bien sûr préciser que la politisation dans les quartiers ne se résume pas aux réactions aux violences policières. Il existe de nombreux collectifs et associations se mobilisant par exemple contre les destructions de logements sociaux, contre la double peine ou simplement organisant les solidarités et l’entraide dans les quartiers.

Les quartiers sont donc loin d’être un désert politique. Mais le mouvement social est extrêmement émietté et divisé. Rares sont les associations ou collectifs qui sont implantés dans plusieurs quartiers même à l’échelle régionale. Pour surmonter ces divisions, des associations ou collectifs comme le Mouvement de l’immigration et des banlieues ou ACLEFEU mettent en place des campagnes nationales unitaires comme « Police Personne ne bouge !? » ou tentent de coordonner les collectifs et les initiatives au travers notamment du Forum social des quartiers populaires. À noter que les principaux animateurs du FSQP ont récemment décidé de se structurer en organisation politique autonome.

De la méfiance vis-à-vis des partis

La faiblesse de la structuration du militantisme dans les quartiers s’explique principalement par les fréquentes tentatives de récupération des réseaux et des militants qui émergent, par certains partis politiques de gauche, ainsi que par l’isolement géographique et politique par rapport au reste du mouvement social.

Les exemples de récupération politique par des partis de gauche sont même tellement fréquents depuis au moins la Marche pour l’égalité de 1983 que les militants des quartiers en ont tiré une grande méfiance par rapport à l’ensemble des partis politiques de gauche y compris malheureusement le NPA.

Cette méfiance s’explique aussi par le fait qu’ils ont trop souvent l’impression que le mouvement social au mieux les ignore au pire les considère comme des adversaires qui divisent le mouvement quand ils « osent » mettre en avant leurs revendications spécifiques.

Sans compter que le mouvement social a du mal à se positionner par rapport à l’émergence dans les quartiers de revendications dites « identitaires » réclamant la pleine reconnaissance de pratiques religieuses et/ou culturelles.

Face à la réaction d’une partie du mouvement social qui considère que la mise en avant même ponctuelle des questions d’oppressions spécifiques (violences policières, discriminations à l’embauche, au logement, islamophobie…) revient à la sous-estimation voire à la négation de la question sociale, certains militants des quartiers répondent (à tort !) par le refus revanchard de se solidariser avec les luttes transversales (salaires, conditions de travail, services publics, écologie…) qui concernent l’ensemble des travailleurs au-delà de leur situation particulière.

L’enjeu est de mieux intégrer les revendications spécifiques anti-discriminations parmi les revendications globales portées par l’ensemble du mouvement ; et, symétriquement, de contribuer à mieux intégrer les questions sociales au sein même des mobilisations issues des populations discriminées.

Cela ne pourra pas se faire sans la pleine participation du mouvement social dans son ensemble aux luttes spécifiques   issues des quartiers mais aussi de celle des militants des quartiers aux mobilisations sociales d’ensemble.

Pour pouvoir jouer pleinement son rôle, le NPA devra mieux structurer son intervention dans les quartiers populaires et mieux l’articuler à ses autres champs d’intervention.

Mais pour lever les obstacles, le mouvement social doit commencer par ne plus exiger des militants des quartiers qu’ils renoncent à ce qu’ils sont (croyants ou non) ou qu’ils « mettent dans leur poche » leurs revendications spécifiques pour les reconnaître comme des alliés à part entière dans la bataille commune contre le capitalisme.

 Laurent Sorel