Publié le Lundi 27 septembre 2010 à 17h32.

Histoire. Le Poum, une organisation marxiste antistalinienne dans la guerre d’Espagne

Tout est à nous ! publiait la semaine dernière un hommage à Wilebaldo Solano, l’un des dirigeants du Poum, nous revenons dans ce numéro sur l’histoire de cette organisation. Dans Land and freedom, le film de Ken Loach (1994), une jeune anglaise se rend compte après l’enterrement de son grand-père que celui-ci a combattu pendant la guerre d’Espagne dans les Brigades internationales et qu’il a appartenu au Poum. Une scène d’une grande intensité dramatique montre les soldats des Brigades internationales désarmer et arrêter leurs anciens compagnons du Poum, organisation qui vient d’être interdite par le gouvernement républicain. Il s’agit d’un des rares films qui rendent compte de l’histoire d’une organisation méconnue faute d’avoir laissé derrière elle une tradition dont elle serait directement issue. Le Poum a été en effet doublement vaincu, comme ces femmes antifascistes sommées par leurs camarades pendant la guerre d’Espagne de rendre les armes et de retourner aux fourneaux : à la fois par les franquistes, du fait de l’issue de la guerre, mais aussi par les staliniens qui les ont férocement réprimés alors même qu’ils menaient un combat commun contre le fascisme.  Le Poum est une organisation marxiste antistalinienne qui naît à Barcelone en septembre 1935 à partir de l’unification de deux partis issus de scissions du Parti communiste espagnol. Andreu Nin en est son secrétaire général et Wilebaldo Solano, décédé en septembre, en dirigea l’organisation de jeunesse. S’il est antistalinien, ce parti n’est pas pour autant trotskiste. Nin a été proche de Trotsky mais il a rompu avec lui. Ce dernier a d’ailleurs toujours entretenu de fortes réserves vis-à-vis de la politique du Poum, même si la ive Internationale a affirmé sa solidarité contre la répression. En 1936, le Poum compte environ 6 000 militants et Joaquin Maurin, l’un de ses principaux dirigeants, est notamment élu député au moment de la victoire du Front populaire. Quand la guerre civile éclate, Andreu Nin est ministre de la Justice dans le gouvernement de la généralité de Catalogne. Les effectifs du parti augmentent, passant à 30 000, et des milices sont constituées pour lutter contre les franquistes sur le front. Joaquin Maurin est d’ailleurs arrêté en essayant d’organiser l’insurrection dans des zones contrôlées par les franquistes. Dans ce processus complexe qu’est la guerre civile, où l’insurrection antifranquiste se combine à une révolution sociale, le Poum soutient une collectivisation des terres. Son influence, et surtout celle des anarchistes de la CNT, inquiète fortement les staliniens qui forment les bataillons les plus importants de l’armée républicaine. La situation devient explosive au sein du camp antifranquiste, et les tensions culminent en mai 1937 quand les staliniens qui dirigent la police tentent de s’emparer, à Barcelone, du central téléphonique contrôlé depuis le début de la guerre par la CNT. Celle-ci ne se laisse pas faire et un soulèvement populaire éclate contre ce coup de force. Les rues de Barcelone se couvrent de barricades. Les dirigeants de la CNT, dont certains participent au gouvernement, souhaitent calmer le jeu et appellent à déposer les armes, suivis dans ce sens par les dirigeants du Poum. Un bain de sang a été évité de justesse. Le Parti communiste espagnol et le gouvernement républicain sont cependant fermement décidés à se débarrasser des anarchistes et du Poum. Ces derniers, moins puissants, sont attaqués les premiers, accusés de trahison, de trotskisme et de complicité avec les franquistes. Le NKVD (services secrets soviétiques) produit de faux documents établissant la culpabilité du Poum, dont les dirigeants sont arrêtés. La milice du Poum est désarmée, de nombreux militants arrêtés. Andreu Nin est emprisonné et torturé à mort. exil en franceAprès la chute de Barcelone aux mains des franquistes, une partie des dirigeants du Poum parvient à s’échapper de prison et à passer en France où certains se rapprochent du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) de Marceau Pivert. Ils ne sont pourtant pas au bout de leurs peines car le régime de Vichy condamne ceux qu’il parvient à arrêter à de lourdes peines de prison. Après guerre, les dirigeants du Poum tentent de maintenir une activité du parti en exil, mais le contexte de la guerre froide et le caractère durable du régime franquiste ne leur sont guère favorables. Les militants du Poum ont donc été doublement victimes, du franquisme et du stalinisme. Ils ont pourtant pris courageusement leur part du combat antifranquiste, puis, pour certains d’entre eux comme Wilebaldo Solano, de la résistance contre les nazis. Pour souligner l’ineptie des accusations mensongères mises en place par les staliniens, George Orwell décrivait en annexe de son ouvrage Hommage à la Catalogne comment la calomnie et la répression avaient remplacé le débat politique : « C’est comme si au milieu d’un tournoi d’échecs, l’un des compétiteurs se mettait soudain à crier que l’autre est coupable de crime d’incendie ou de bigamie. » Sylvain Pattieu1. LireTout est à nous ! n°69