Publié le Vendredi 28 janvier 2011 à 23h06.

Classe ouvrière en chantier (par Louis-Marie Barnier et Lisbeth Sal, Contretemps n°5)

 

La récente crise économique a remis au premier plan la nécessité d’une alternative au système libéral. A la question « Quel acteur pour porter ce changement ? », la tradition marxiste répond : la classe ouvrière. Idéalisée, mythifiée, imaginée, mais aussi souffrant dans le quotidien du travail ou luttant et résistant en permanence, cette classe sociale n’existe pas sans ce projet stratégique de transformation sociale. Ce projet d’émancipation collective lui-même donne sens à ce que recouvre la notion de classe ouvrière. C’est donc le débat stratégique sous-jacent à cette définition qui nous intéresse ici, bien plus qu’une définition des termes ou du périmètre.

Il importe de remettre sur le métier cet ouvrage. Car la classe ouvrière n’est pas un état, mais un processus. Un processus permanent d’éviction et d’intégration, comme le montre l’étude des couches les plus instables. C’est à la recherche de leur « identité collective » que nous invitait Adrien Mazières-Vaysse dans le dernier numéro de ContreTemps 1.

Celle-ci relève également d’un processus de représentation dans l’imaginaire social. L’article d’Henry Clément, Anne Moyrand et Lisbeth Sal qui ouvre ce dossier croise récits aux multiples représentations véhiculées, et réalités des luttes actuelles. Il montre comment, par exemple, le roman de Gérard Mordillat permet une mise à distance d’épisodes tels qu’une séquestration et leur donne tout leur sens social. « L’affaiblissement des représentations collectives » est aussi au centre de l’article de René Mouriaux, qui cependant tire des nouvelles formes d’investissement militant un appel au renouveau du mouvement syndical.

Car, et ce thème s’impose tout de suite dans ce dossier, les formes cristallisées de représentation que sont les formes syndicales sont ,bien sûr, au centre d’une analyse dynamique de la classe ouvrière. La tâche du mouvement syndical, explique Louis-Marie Barnier, est d’unifier le salariat. La confrontation d’un tel enjeu avec les analyses de Marx, annonçant l’avènement d’un prolétariat unifié et dépassant les contradictions endogènes aux procès de travail, permet de mieux comprendre comment la mise en mouvement sans cesse renouvelée des salariés cherche à dépasser ces contradictions.

C’est donc à l’ouverture d’un « chantier » que vous convie ici ContreTemps, chantier qui se poursuivra dans les prochains numéros et sur le site de la revue. L’objectif est de réfléchir à l’existence politique et sociale de la classe ouvrière aujourd’hui. Dans un contexte de crise économique, d’émiettement du salariat, de prolétarisation de la société, comment s’opèrent la conscientisation, la construction d’une identité collective de notre camp social, éléments participant de la politisation ? Peut-on parler aujourd’hui de « nouvelles classes ouvrières » ou de « nouvelle classe ouvrière » ?

Il s’agit, avec ce chantier, d’analyser les actions qui s’opèrent sur le champ social de délimitation politique de cette classe ouvrière, qu’à l’évidence on ne saurait plus circonscrire à l’ouvrier métallurgique masculin (et âgé)… Mesurer qui est dedans, dehors. S’interroger, par exemple, sur l'appartenance des enseignants-chercheurs à classe ouvrière et ce que cela implique pour leur combat actuel. Revoir la situation des femmes employées associées traditionnellement, via le mécanisme du « chef de famille », à leur époux ouvriers. Analyser les précaires, les étudiants qui travaillent à mi-temps, les chômeurs, comme autant de groupes sociaux qui inscrivent, peu ou prou, leur combat dans celui de la classe ouvrière.

Les frontières s’ouvrent, notre perspective doit aussi élargir ses horizons. De même, existe-t-il une classe ouvrière internationale ? Le sort partagé, inégalement, en matière de conditions de travail, de pressions sur les salaires, crée-t-il les conditions pour une conscience de classe internationale, prenant le relais du mouvement altermondialiste ? L’affrontement à des groupements d’actionnaires communs favorise-t-il l’émergence d’une classe ouvrière en devenir, s’émancipant du cadre fixé par l’affrontement avec un Etat spécifique ?

A l’intérieur de cette classe ouvrière, la politisation s’opère parfois dans l’articulation de la lutte contre l’exploitation et de celle contre les oppressions, ce qu’ont montré les récentes luttes des travailleurs sans papiers. Ce va-et-vient entre le travail, sa représentation, la représentation de ceux qui travaillent, constitue le fil conducteur de ce chantier aux multiples facettes.

Louis-Marie Barnier, Lisbeth Sal.  Pour s'abonner à la revue Contre temps : http://www.contretemps.eu/node/56

Note

1 Adrien Mazières-Vaysse, « Précarités et construction d’identités collectives dans le salariat », ContreTemps n° 4, déc. 2009, p. 117-125.