Publié le Dimanche 30 janvier 2011 à 22h09.

Un an plus tard, Haïti tremble encore

Le 12 janvier 2009, un tremblement de terre tuait près de 200 000personnes et détruisait les faibles infrastructures de l’île.

Un an plus tard, l’aide promise n’est quasiment pas arrivée. Des centaines de milliers d’Haïtiens vivent sous des bâches et les puissances impérialistes occupent la pays par le biais de l’ONU.

 

Les élections qui se sont tenues en novembre, véritable mascarade, n’ont pas permis à ce jour de faire émerger un nouveau pouvoir sur l’île. Une année est passée et Haïti tremble toujours. Ce n’est plus la terre qui s’ouvre et vibre tuant plus de 200 000 personnes et mettant plus de 1,3 million d’Haïtiens sous les bâches des camps d’infortune. C’est le Haïti de la révolte qui gronde face à l’incurie d’un gouvernement d’oligarques et aux troupes d’occupation de l’ONU (Minustah).

Le tremblement de terre et le choléra ne doivent pas dissimuler les véritables raisons d’une catastrophe annoncée. Une catastrophe qui est le prolongement d’une longue histoire coloniale et enfin émancipatrice depuis la déclaration de la République noire en 1804.

Car quand bien même Haïti fut la première République noire, deux siècles se sont écou­lés de luttes acharnées contre la volonté omnipotente des États-Unis et de la France de continuer à piller les richesses de l’île et d’asservir ce peuple, et c’est pour ces mêmes raisons que les Haïtiens se soulèvent aujourd’hui.

La malédiction qui efface l’histoire

Au lendemain du 12 janvier 2010, l’émotion est mondiale et tous les projecteurs se bra­quent sur Haïti. Des grandes déclarations des dirigeants mondiaux jusqu’à l’aide humanitaire, tout s’organise très vite tandis que journaux télévisés et presse écrite évoquent une « malédiction » qui toucherait l’île. Si cette malédiction était nommée capitalisme ou impérialisme peut-être serions-nous tombés d’accord. Mais cette malédiction, dénomination au relent mystique et superstitieux, escamote la misère, un État délabré et des infrastructures laborieuses qui n’ont rien à voir avec la malchance mais bien avec le pillage auquel l’État français participe depuis des siècles.

Peu de plumes ont rappelé l’émancipation douloureuse de la jeune République noire dont la France exigeait 150 millions de francs en échange de sa reconnaissance. Cette somme qui représentait alors l’équivalent d’une année du budget français est l’acte fondateur de la dette haïtienne. Plusieurs décennies sont nécessaires à son remboursement. Les États-Unis ne reconnaissent Haïti qu’en 1864. Puis viennent l’invasion américaine et les décennies sanglantes des Duvalier et leurs tontons macoutes, régime qui décima toute opposition sociale et politique pour des années, soutenu par la France et la plupart des États. C’est durant ces années que le pillage de l’île par une oligarchie atteint son paroxysme. Environ 1 milliard d’euros ont été détournés par Duvalier père et son fils surnommé Baby Doc en échange d’un régime de terreur qui offrait une main-d’œuvre bon marché. Cette somme, qui correspond à la dette haïtienne, dort tranquillement dans des comptes en Suisse au vu et au su de tous, tandis que Baby Doc se prélasse paisiblement sur la Côte d’Azur.

Une aide tutélaire

L’émotion mondiale débouche sur une vague de dons aux ONG. Les gouvernements à travers plusieurs conférences s’engagent sur une aide internationale. Le sujet des débats entre les grandes puissances donatrices se concentre alors sur l’incapacité de l’État haïtien à organiser la reconstruction. C’est bien d’une mise sous tutelle qu’il s’agit, ce que les grandes nations et certains chroniqueurs (comme l’infatigable Bernard Guetta) suggèrent.

L’organisation de l’aide internationale ne parvient aux Haïtiens que par le biais des ONG et d’autres organismes privés sans passer par l’État haïtien. Depuis le tremblement de terre, c’est la fondation Clinton qui gère cette aide. Alors que les États-Unis n’ont pas versé un dollar de l’aide promise, c’est une mainmise de la fondation sur ce flux d’argent et sur les investissements qui est opérée. Les États-Unis étant le premier investisseur sur l’île, il apparaît clairement que cet argent sera surtout utilisé dans le but de développer les infrastructures permettant les investissements. Cette politique s’inscrit dans le prolongement de celle menée par des pays comme la France et les États-Unis avant le séisme. Les lois HOPE1 et 2 votées en 2006 puis en 2008 sous l’administration Bush ont permis aux entreprises américaines de l’industrie de l’assemblage (principalement du textile) de vendre leur production sur le sol américain sans payer de droits de douane. Cette politique ultralibérale de développement économique ne génèrera quasiment aucun emploi, 3 500 créations d’emploi contre les 70 000 annoncées. Cette politique mène au déclenchement de grèves en juillet 2009 pour des augmentations de salaires.

Il s’agit donc aujourd’hui pour bon nombre d’États et principalement les États-Unis de remodeler Haïti, un des pays les plus pauvres du monde avec une des main-d’œuvre les moins chères, en contrôlant la reconstruction qui représente à elle seule une manne financière gigantesque, rendant l’île encore plus profitable pour les investisseurs étrangers. Les mots ne trompent pas et si Dominique Strauss-Kahn évoque «une aide plus vaste pour la reconstruction» sur le modèle «d’un plan Marshall», Obama dès les premières minutes réagit en déclarant : «Les États-Unis vont déployer les moyens de sa puissance». Nul besoin de lire entre les lignes.

Ce plan certes plus vaste est dans la lignée des différentes politiques menées depuis l’effondrement des Duvalier : programme d’ajustements structurels, Cadre de coopé­ration intérimaire (2004), Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP, 2007-2010), lois HOPE 1 et 2 (2005 et 2008), rapport Collier (2009) et Accords de partenariat économique (APE) signés en 2010.

Ce plan vise donc à adapter Haïti au capitalisme néolibéral mondialisé.

Les intérêts géostratégiques rentrent égale­ment en jeu dans une Amérique latine où de nouveaux leaders tel Chávez ou Morales handicapent la politique impérialiste amé­ricaine qui cherche à assurer sa domination sur le continent sud-américain. Rappelons que des médecins cubains et vénézueliens étaient parmi les premiers sur l’île, ce qui explique entre autres pourquoi dès les premières heures les marines ont donné la priorité au contrôle de l’aéroport, filtrant ainsi l’acheminement de l’aide selon des critères politiques au grand dam de la France de Kouchner et Sarkozy.

Un pays sous occupation

C’est dans ces conditions qu’une présence militaire est impérative comme elle pouvait l’être avant le tremblement de terre. Comme l’annonçait dès le mois de janvier l’année dernière, Edmond Mullet, le nouveau représentant des Nations unies en Haïti : «La Minustah y est pour au moins les dix prochaines années.»

Alors qu’à peine 2 % des 5,3 milliards de dollars d’aide sont parvenus, c’est plus de 600 millions de dollars qui sont engloutis par cette armée d’occupation présente depuis 2004 sur l’île, soit près de 4 milliards de dollars en six ans. On imagine le nombre d’écoles, d’hôpitaux qu’il aurait été possible de construire avec cet argent. Cette force d’occupation de l’ONU était, à l’origine, soi-disant présente en Haïti pour sécuriser le pays alors que l’insécurité y est plus faible qu’au Brésil ou en Jamaïque.

La colère monte au fur et à mesure de cette année 2010 en même temps que l’espoir faiblit au fil des mois. Face à un État drama­tiquement absent et dénué de réaction, les Haïtiens avaient reporté leurs espoirs sur les troupes de l’ONU quant à la reconstruction et le sauvetage des survivants. Or, il ne s’agit pas pour ces troupes de venir en aide mais de maintenir un État fantoche, d’empêcher les pillages et d’assurer une relative tranquillité jusqu’à la tenue des élections. D’ailleurs le jour et le lendemain du tremblement de terre, les troupes basées sur la côte ne s’étaient pas déplacées pour venir en aide.

Le choléra brise définitivement les dernières illusions. En effet, après plusieurs enquêtes épidémiologiques, l’origine de l’épidémie est bien liée à la présence de troupes népalaises porteuses de germes. La maladie qui avait disparu depuis plus d’un siècle vient s’abattre entre deux ouragans comme un fléau de plus, soulignant une fois de plus l’incurie de l’État haïtien.

Le souvenir des troupes américaines qui occupèrent le pays de 1914 à 1934 est en­core fort dans les mémoires et les Haïtiens n’ont plus aucune illusion sur la raison de l’occupation militaire étrangère. Les mani­festa­tions explosent contre la Minustah qui riposte par des tirs contre les manifestants, entraînant plusieurs dizaines de morts.

Élections et révolte sociale

Les manifestations anti-Minustah se sont produites également en pleine période d’élections présidentielles, législatives et sénatoriales. Des élections au coût faramineux puisque pour le seul candidat du pouvoir, Jude Célestin, 33 millions de dollars ont été engloutis. Les autres candidats ont également dépensé des sommes gigantesques provenant bien souvent des narcotrafiquants et des riches familles qui se partagent Haïti. Une vingtaine de familles haïtiennes possèdent 80% des richesses tandis que 20 % des plus pauvres n’ont que 1,5 % du revenu national haïtien. Les dix-neuf candidats étaient tous issus du camp qui détient les richesses de ce pays. Cette mascarade électorale orchestrée par le pouvoir, par le biais du Comité électoral provisoire (CEP) et avec l’aide de la Minustah n’a pas calmé la colère d’un peuple qui ne voit toujours pas une lueur d’espoir un an après la catastrophe.

La fraude a été massive et il suffit de regarder sur internet quelques vidéos et reportages de médias plus courageux que les médias français, pour se rendre compte de l’étendue de cette mascarade1. On peut y voir des urnes balancées le soir même dans des fossés, des électeurs voter plusieurs fois, d’autres mettre des poignées entières de bulletins dans les urnes.

Au sortir de cette élection, la situation politique reste bloquée puisque la fraude massive ne donne aucune légitimité aux candidats, décrédibilise un peu plus le pouvoir face à un silence des plus consternants de la communauté internationale. Cette dernière se fait davantage entendre à propos de la Côte d’Ivoire. Quinze jours après l’élection, la demande de l’Organisation des États américains (OEA) de reporter la publication des résultats paraît bien dérisoire. Et lorsque le CEP, le 20 décembre accepte de recompter les bulletins, la supercherie prend tout son sens et la volonté de faire retomber la pression ne peut être que vaine. Malgré l’absence d’organisations progressistes ou sociales de masse, les Haïtiens, très conscients du poids de l’histoire du pays, de la corruption qui règne à la tête de l’État et de la voracité de la communauté internationale ne devraient pas se taire de sitôt.

La dérégulation agricole qui va sans cesse s’accélérant dans l’île pousse également les Haïtiens des campagnes à la révolte. De nombreuses marches ont été organisées dans les principales villes de province. Des années de dérégulation sur le marché haïtien du riz ont fini de casser l’agriculture déjà mal en point. Importation de riz américain subventionné, réduction des tarifs douaniers, épuisement de la terre par la culture outrancière de la canne et du café, jettent la misère dans les campagnes où bon nombre d’Haïtiens des villes s’étaient réfugiés après le tremblement de terre. La répression est là aussi identique avec une Minustah qui défend une fois de plus les mêmes intérêts.

Une année est passée et toujours plus d’1 million de personnes dorment dans des camps, le choléra se propage de plus en plus tandis que des centaines d’écoles manquent toujours dans un pays qui comptent 70% d’analphabètes. Après avoir démontré leur capacité à s’auto-organiser devant l’absence totale de l’État au lendemain du tremblement de terre pour déblayer les rues et les secourir, les Haïtiens reprennent le chemin de la contestation entamée l’an passé durant les grèves pour le salaire minimum. La répression de la Minustah qui défend l’État et, derrière ce dernier, une communauté internationale vorace, risque de s’intensifier ces prochaines semaines. Les Haïtiens devront continuer de s’organiser pour s’opposer à un plan de reconstruction dont l’unique but est la réorganisation économique de l’île. La solidarité peut s’organiser à l’étranger comme en France en réclamant l’annulation de la dette et le remboursement des sommes volées par les Duvalier et l’État français en 1830, la question de la dette touchant en Haïti à son paroxysme. 

Thibault Blondin

1. Voir la vidéo « Haitian Election Complete Disaster! Fraud Rampant Everywhere! » http://www.youtube.com/w…