Entretien. Alors que le gouvernement central de l’État espagnol tente par tous les moyens d’empêcher la tenue du référendum d’autodétermination du 1er octobre en Catalogne, nous avons rencontré Laia Facet, militante d’Anticapitalistas Catalunya.
Comment expliques-tu l’attitude extrêmement répressive et brutale du gouvernement qui prend le risque d’un affrontement très incertain pour lui ?
L’État espagnol faisait face à un dilemme : s’il permettait un référendum d’autodétermination, cela créait un précédent qui rompait avec le cadre constitutionnel et donnait la possibilité d’ouvrir des débats au-delà du terrain national ; s’il ne le permettait pas, il devait assumer un tournant autoritaire alors que jusqu’à maintenant il s’était maintenu dans l’attentisme. Le dilemme a été tranché du côté autoritaire. La répression est menée par le Parti populaire et son gouvernement, ses alliés de Ciudadanos et le silence complice du PSOE. La justice et la police collaborent et font le sale boulot, avec le soutien de toute la presse liée au régime qui relaie sa propagande.
Nous ne nous trouvons pas seulement face au gouvernement PP, mais face a l’ensemble du régime : dans l’État espagnol le droit à l’autodétermination signifie un défi au consensus de la transition issu de la fin du franquisme, que le régime cherche a préserver à tout prix. Le processus actuel en Catalogne a en réalité généré une brèche dans les fondements de l’État.
Jusqu’où le pouvoir est-il prêt à aller ?
Actuellement ils réquisitionnent tout le matériel officiel de la Generalitat de Catalogne : matériel de propagande du référendum, tracts, cartes de recensement, etc. Ils ont procédé à des arrestations de responsables du gouvernement et cité à comparaître plus de 700 maires. Ils ont fiché des milliers de personnes ayant participé et organisé des meetings, collages, etc. Ils ont perquisitionné des entreprises privées qui ont édité du matériel sur le référendum, et ils ont entrepris nombre d’autres actions qui mettent en cause les libertés publiques, la liberté d’expression et les droits démocratiques. De facto, le 20 septembre, l’article 155 de la constitution s’est appliqué. Celui-ci permet de suspendre l’autonomie politique de la Catalogne et de contrôler les comptes de la Generalitat…
Je ne sais pas s’ils pourront aller plus loin dans la répression, à part essayer d’empêcher l’ouverture de bureaux de vote le 1er octobre, ce qu’ils vont tenter de faire, et peut-être aussi prendre davantage de sanctions judiciaires contre le gouvernement de Catalogne.
Ce qui est impressionnant, c’est que face à cela les gens n’ont pas eu peur. Tous les jours on assiste à des mobilisations massives pendant des heures, des collages, des diffusions de tracts, des débats… et pourtant les gens savent qu’ils vont probablement être fichés par la police, tandis que des imprimeries prennent le risque d’être fermées.
Le degré d’implication des gens augmente, et c’est extrêmement important pour défendre concrètement le droit à l’autodétermination, mais aussi pour reconstruire une conscience de classe aujourd’hui en crise.
Comment réagit la population dans l’État espagnol ?
Comme je disais précédemment le niveau d’implication des gens augmente en Catalogne et, chose importante, nous n’avons pas assisté à des manifestations significatives d’opposition de type réactionnaire ou espagnoliste. Dans le reste de l’État la dérive répressive du régime fait réfléchir les gens sur le référendum. Si de larges couches de la population sont en désaccord sur le cheminement suivi par la Catalogne, nous assistons ces jours-ci à des mobilisations de plus en plus importantes en solidarité et en soutien au référendum et à la Catalogne.
La manifestation très massive à Bilbao la semaine passée a été suivie dès le 20 septembre par d’autres dans des dizaines de villes, où les gens ont rempli les rues pour montrer leur solidarité. La tentative d’interdiction des manifestations a en réalité amplifié le mouvement.
Nous devons proposer des perspectives constituantes en nous appuyant sur la vague catalane, mais cela va être particulièrement difficile car le régime a resserré ses rangs et ils forment un bloc de pouvoir constitutionnaliste pro-régime, désespéré dans ses formes mais fort.
Dans ce contexte deux questions sont importantes : nous devons tisser des alliances avec toutes les personnes, tous les collectifs, syndicats, partis qui dénoncent la répression, incluant les soutiens internationaux ; nous devons tout faire pour que la dynamique de mobilisation soutenue et antirégime en Catalogne déborde au-delà de celle-ci.
Quelle peut être la suite après le référendum du 1er octobre ?
Il est très compliqué de prévoir des scénarios. Nous sommes dans un de ces moments où en un jour il se passe plus de choses qu’en plusieurs années. Actuellement une double lutte de légitimité-légalité est en cours, celle qui émane de la transition espagnole et celle surgie de la volonté d’une majorité en Catalogne de déborder cette transition, qui se concrétise dans un référendum d’autodétermination. La confrontation à laquelle nous assistons ces jours-ci, dans la rue, les institutions, les lieux de travail et d’étude, va être longue, vient de loin et se cristallise ces dernières semaines. Ce qu’il se passera le 1er octobre sera décisif, ainsi que ce qu’il en sortira. Si le référendum donne une majorité substantielle au « oui », on devra défendre le résultat et favoriser l’ouverture d’un processus constituant en Catalogne. La tâche sera difficile. Si on nous empêche de voter, la dynamique de mobilisation peut s’amplifier
Dans cet affrontement, quelle politique défendez-vous pour la classe ouvrière en particulier face à un droit à l’autodétermination qui pourrait prendre la forme d’une union nationale ?
Nous avons un mouvement vivant, quelque peu imprévisible, et qui peut déborder les calculs du gouvernement catalan et des partis de la droite catalane à tout moment. Le mouvement, jusqu’ici, avait laissé l’initiative au gouvernement catalan. Nous croyons qu’un référendum pourrait changer la dynamique, que cela impliquerait un défi réel au régime, loin de la rhétorique du gouvernement qui ne s’est jamais traduite dans des solutions concrètes. Actuellement, on vit dans les rues un mouvement ample et un défi sans précédent depuis la transition, qui peut changer les rapports de forces, y compris en Catalogne. Il y a aussi la perspective de l’ouverture d’un processus constituant. C’est pour cela que les mobilisations actuelles nous permettent d’accumuler des forces et des expériences pour mener cette bataille politico-programmatique où nous avons de fortes différences avec la droite catalane, une bataille qui jusqu’à ce jour paraissait une utopie. Les mobilisations étudiantes et les occupations de facs de cette semaine sont déterminantes pour envisager une lutte plus radicale
Pour terminer, il faut savoir que les deux principaux syndicats combatifs catalans IAC et CGT ont déposé un préavis de grève générale à partir du 1er octobre si le pouvoir empêche la tenue du référendum. Dans les mobilisations on entend de plus en plus souvent une musique qui dit « on a besoin maintenant d’une grève générale ».
Le fait d’introduire la grève dans le répertoire des actions du mouvement catalan est quelque chose d’important en soi, mais aussi pour que des secteurs de travailleurs puissent voir les organisations syndicales comme des outils leur permettant de s’impliquer dans la lutte. Cela pourrait s’avérer fondamental pour être en position de force du point de vue de la légitimité lorsque le moment viendra de déclencher la bataille constituante.
Propos recueillis par Miguel Ségui