Vladimir Velickovic est décédé en août 2019. La pandémie a interrompu prématurément l’ultime exposition de l’artiste, conçue de son vivant et ouverte après sa mort à la Fondation Leclerc à Landernau.
Né en 1935 à Belgrade, il est arrivé en France en 1965. Il s’y installera définitivement tout en retournant régulièrement dans son pays. Il fut l’une des figures marquantes de la la peinture dans le cadre de ce que l’on a appelé la Figuration narrative.
Tension entre l’expressif et le formel
Il venait de la tradition d’une figuration marquée par un imaginaire noir, fortement présente dans l’art yougoslaveavec des artistes comme Dado et Ljuba. Mais à la différence de Dado qui développa une vision onirique d’une humanité monstrueuse, Velickovic, à partir des années 1970, maria cette veine fantastique et expressionniste à une pratique analytique. Cela fut à l’origine d’une œuvre où le trait est essentiel et où la dramaturgie du corps est mise à distance par sa déconstruction et sa décomposition formelle. Il fut un peintre du dessin avec une gamme colorée réduite, pour nombre de ses œuvres, à un éventail allant du noir au blanc en passant par des gris. Elle n’était ponctuée que de quelques rehauts de rouge qui suggéraient plus qu’ils ne décrivaient. L’intégration d’éléments à caractère analytique, flèches, croix, scotch ou documents photos, accentuait une tension entre l’expressif et le formel. Un nuancier intégré au tableau évoquait parfois la couleur, tout en la reléguant à un temps réservé à l’imaginaire du spectateur. Car dans sa peinture, elle était consumée par la charge du gris et du noir. Il y a toujours eu chez lui une dialectique entre la rigueur d’un trait tranchant comme un scalpel et un débordement expressif qui frisait un baroque mélancolique. La part distanciée et épurée de son œuvre peinte fut à l’origine de ses plus grandes œuvres, qu’il s’agisse des peintures où le corps est dépouillé au sens propre et au figuré comme ce gisant, de ces hommes pris dans les rets et les incises d’une violence froide ou extrême, ou encore ces figures du corps réduit à l’état d’objet d’étude clinique ou outragé par la violence du monde. L’observation clinique côtoie l’impensé mortifère d’une humanité unidimensionnelle.
S’il y a un moment exceptionnel de son travail c’est celui des « Lieux » (années 1980) où le corps absent n’est évoqué que par les seules traces des épreuves qu’il a subies dans un espace à l’ombre de l’innommable. Ces lieux de l’expérience de l’extrême resteront parmi ses œuvres majeures.
Incandescence et distance, rigueur et débordement
Velickovic fut un peintre du trait, où le dessin d’une humanité meurtrie constituait le cœur de sa peinture. La couleur y était assujétie à ce dessin qui creusait l’imaginaire tragique du corps comme un scalpel la chair. Sa peinture revendiquait la primauté de l’observation et la puissance terrible du dessin. C’est pourquoi cohabitaient dans ses œuvres incandescence et distance, rigueur et débordement. Entre formalisme et symbolisme, la figuration de Velickovic était à la fois véhémente et tenue.
À partir des années 1990, la couleur va être plus présente ; d’abord par l’intégration de la toile écrue comme couleur même, ensuite par l’introduction d’autres couleurs tel le bleu. Cela sera très perceptible dans ses portraits de scènes de guerre et ses corps crucifiés regroupés sous le titre évocateur de 92. La tragédie yougoslave fut en effet l’arrière-fond traumatique de l’ultime période de sa peinture.
Il faut cependant noter une dualité dans son œuvre entre son acuité visuelle, sa tension formelle et un baroquisme qui frôla parfois une certaine grandiloquence, voir une forme d’académisme. Un sentiment non formulé mais probablement ressenti d’une injustice quant à la reconnaissance de son œuvre le poussa à chercher une légitimité institutionnelle. Ce fut pour nous étrange de le découvrir il y a quelques années membre de l’Académie des Beaux-Arts de Belgrade. Cela l’amena sous les ors de celle de Paris où l’ont rejoint d’autres, soudainement épris de « respectabilité » comme Bustamante, Garouste, Hybert ou Othoniel. Nous lui préfèrerons l’artiste, et l’enseignant curieux des œuvres d’autrui et généreux avec les étudiantEs.
Vladimir Velickovic a lâché ses pinceaux pour toujours. Mais son œuvre trouvera, par-delà les générations, de multiples regards qui la feront vivre au-delà de son vivant. C’est cette part vive qu’avaient déjà perçue des écrivains et critiques attentifs à son œuvre comme Marc Le Bot et Bernard Noël.