Entretien. À l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, la colère des milieux féministes a été immédiate. Ce sont principalement les noms de Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti qui ont suscité l’indignation, déclenchant une vague de mobilisations au quatre coins du pays. Nous nous sommes entretenus avec Fanny Gallot, historienne et militante féministe, qui sera présente lors de notre université d’été, pour revenir sur cette situation.
En quoi la nomination de Darmanin et Dupond-Moretti est-elle une véritable gifle pour le mouvement féministe ?
Gérald Darmanin à l’Intérieur alors même qu’il est accusé de viol et qu’il défile avec la Manif pour tous, et Éric Dupond-Moretti, fervent adversaire de #Metoo, à la Justice, c’est tout un symbole et ça en dit long sur ce qui était supposé être la grande cause du quinquennat. Concernant Darmanin, Caroline De Haas l’a dit et tweeté : « Le seul crime pour lequel on accepte ça, c’est le viol ». Et, alors que les féministes revendiquent l’inversion de la charge de la preuve, c’est-à-dire le fait que la personne accusée apporte la preuve que ce qu’on lui impute est faux, c’est un avocat qui trouve « ahurissant » le fait que « siffler une femme devienne une infraction » et qui a plaidé pour la défense lors de procès pour violences sexistes ou sexuelles qui devient Garde des Sceaux.
Après l’intervention d’Adèle Haenel sur Mediapart en novembre 2019, la manifestation du 23 novembre rassemblant près de 100 000 personnes, la mobilisation féministe historique dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites, le scandale des Césars et les réactions féministes qui s’en sont suivi ainsi que les manifestations du 8 mars, le mouvement féministe grandit, soulignant à quel point le ras-le-bol de la culture du viol est profond : il est temps que cela cesse !
Quelle est la logique entre les déclarations du Grenelle et les nominations de ce nouveau gouvernement ?
La logique du gouvernement Macron en termes de droits des femmes articule effets d’annonce et remises en cause profondes des acquis sociaux sur fond de stigmatisation de certaines catégories de la population, les hommes de classes populaires et/ou racisés. Ainsi, dès son arrivée, en 2017, c’est contre le harcèlement de rue que Marlène Schiappa monte au créneau tandis qu’elle prévoit des coupes budgétaires drastiques qui affectent en premier lieu des associations féministes et notamment celles qui luttent contre les violences de genre.
En 2019, tandis que la contestation féministe grandit avec le décompte des féminicides, Marlène Schiappa organise une grande concertation nationale contre les violences conjugales et les féminicides – le Grenelle. La question des moyens est éludée, la question de la formation et de l’éducation n’est pas évoquée, autant d’éléments absolument déterminants dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Dans le même temps, l’Index censé promouvoir l’égalité femmes-hommes dans l’entreprise est souvent de la poudre aux yeux : les scores sont souvent très bons alors même que les plaintes pour discrimination se multiplient. Finalement, il apparaît clairement que la réforme des retraites aura des répercutions dramatiques sur les femmes, dont les carrières sont hachées, ce qu’ont très largement dénoncé les Rosies un peu partout en France.
Avec le remaniement, outre la nomination de Darmanin et Dupond-Moretti, l’idéologie réactionnaire de la Macronie à l’œuvre s’observe également avec la nomination d’Élisabeth Moreno – cheffe d’entreprise. La nouvelle ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes est partisane de ce que Sophie Pochic a appelé « l’égalité élitiste », c’est-à-dire celle qui concerne une infime minorité de la population, le 1 % évoqué par Nancy Fraser, Tithi Bathacharya et Cinzia Arruzza, relativisant le sexisme dans l’entreprise. Enfin, pour couronner le tout, à la Transition énergétique, c’est Barbara Pompili qui est nommée – elle faisait partie des rares femmes à avoir témoigné en faveur de Denis Baupin…
Quelles réponses le mouvement féministe devrait-il opposer ?
Les solutions sont nombreuses. Elles appellent une remise en cause profonde du système capitaliste, patriarcal et raciste dans lequel nous vivons puisqu’il s’agit de tirer les leçons de la crise sanitaire et de renverser les priorités, pour que le travail reproductif soit au centre, construire une société fondée sur les besoins et non sur les profits. En termes de revendications, elles vont de la revalorisation des métiers à prédominance féminine à la prise en compte voire la rémunération du travail domestique, en passant par l’allongement des délais d’IVG ou encore des moyens adéquats pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, entre autres. Derrière l’ensemble de ces questions, il y a bien sûr également le refus de payer la crise qui s’annonce.
La réaction féministe massive face au remaniement – des rassemblements se sont tenus dans toute la France – montre que la dynamique que nous connaissons à l’échelle mondiale n’a pas été interrompue par la crise sanitaire, sans doute au contraire puisqu’elle a rendu encore plus cruciale la satisfaction de ces revendications. Sans doute va-t-elle s’intensifier encore à la rentrée avec la préparation du 25 novembre contre les violences sexistes et sexuelles tandis que les groupes pour la grève féministe vont se réactiver.
À court terme, dès la rentrée, l’enjeu est de taille : la démission de Darmanin et de Dupond-Moretti. Le gouvernement va se trouver contraint de composer avec une contestation féministe d’ampleur, non plus marginale ou secondaire, ça ne fait aucun doute. Partout, dans les lycées, les facs, les quartiers, les lieux de travail, organisons-nous pour l’émancipation individuelle et collective !
Propos recueillis par la Commission nationale d’intervention féministe