À la suite de l’expulsion de la Gaîté Lyrique le 18 mars sur demande de la préfecture, 25 mineurs isolés ont reçu des OQTF (obligation de quitter le territoire français). Deux d’entre eux et des délégués du collectif des Jeunes du Parc de Belleville témoignent de leur expérience, soutenus par des personnalités et organisations.
Le 17 mars, la préfecture a annoncé l’expulsion de la Gaîté Lyrique alors que tout le monde faisait le ramadan. Ce jour-là, les délégués et soutiens sont venus pour informer les jeunes, préparer les affaires et sortir. On s’est apprêtés, on est sortis. Après, on est restés devant le bâtiment toute la nuit parce que des gens sont venus pour manifester et soutenir. Mais cela la police n’a pas accepté, elle est venue le matin du 18. (Douanene)
Alhassane. La dame de la préfecture nous dit qu’on a jusqu’à 6 h pour libérer l’espace mais le temps qu’on prévoie de partir, la police a nassé les jeunes, ils ont défoncé le premier cordon de sécurité fait par les soutiens et ils sont rentrés dans la foule, ils ont violenté les jeunes, après ils ont gazé — certains sont tombés parce qu’ils ont gazé tout le monde.
Douanene. La police a envoyé les gaz contre les gens. Des gens ont couru et ont laissé les affaires. La police a entouré mon groupe. Ils ont mis les affaires et les papiers avec les portables dans un camion. Après, ils m’ont attrapé et emmené dans le camion. Ils nous ont pris un par un par la force. Devant la Gaîté, ils ont séparé les blancs et les noirs.
Alpha. Ils nous ont embarqués dans leur voiture pour le commissariat. Ils nous ont obligés à faire des empreintes. Certains ont refusé mais ils étaient agressifs. Il y avait une femme blanche, elle, on a juste pris son prénom. Ils nous ont gardés dans la cage jusqu’à 22 h et après, ils nous ont amenés à la Boulangerie.
Fofana. On était en ramadan mais dans la prison, depuis qu’ils m’ont arrêté jusqu’à une heure du matin je n’ai pas coupé mon carême… Pourtant après l’heure de la coupure j’ai demandé qu’est-ce que vous allez me donner pour manger ? Ils ont refusé. J’ai demandé qu’est-ce que je peux boire ? Ils ont refusé et quand je suis sorti pour la route de la Boulangerie ils m’ont menotté. J’ai demandé qu’est-ce que j’ai fait pour ça ? Ils m’ont répondu qu’ils n’ont pas confiance en nous…
Alhassane. Normalement, ils ne devraient pas prendre les jeunes. Mais les policiers ont modifié leurs dates de naissance et certaines nationalités des jeunes. Pourtant ils avaient avec eux leurs documents d’état civil, certains avaient aussi avec eux leur carte consulaire, délivrée par l’ambassade de leur pays en France. Il y avait aussi des jeunes qui avaient leur acte de naissance et les papiers de refus de prise en charge mais la police n’a pas considéré tout ça. La police a donné les OQTF.
Alpha. Moi, je ne connaissais pas les OQTF jusqu’au 18 mars, je ne savais pas que ça existait. Quand j’ai eu le papier ça m’a cassé la tête car j’ai compris que c’est un papier qui signifie que je dois retourner chez moi, ça m’a fait peur. Après, je devais partir signer au commissariat chaque semaine. À chaque fois, quand j’allais là-bas, les policiers me traitaient mal. Quand j’allais là-bas ils me fouillaient partout. Le directeur de la Boulangerie nous envoyait des fiches qui faisaient peur. Et après, c’est la préfecture qui a envoyé des documents pour nous harceler, nous faire comprendre qu’on a des OQTF, nous les mineurs, alors qu’on ne pensait pas qu’on pouvait en avoir. Quand je suis parti à l’ambassade pour ma carte consulaire, ils ont dit que c’est pas normal que les mineurs aient des OQTF. Ils ont demandé pourquoi ils nous font ça. C’est difficile de garder son calme.
Alhassane. On ne sait pas à qui s’adresser pour que la police considère au moins notre acte de naissance ou notre carte consulaire. C’est comme si la police ne faisait pas confiance à nos ambassades, à nos pays qui délivrent les actes de naissance. Normalement, ce n’est pas la police qui détermine mais c’est le juge des enfants.
Douanene. Après, j’ai eu une convocation à la préfecture et on nous a donné une nouvelle obligation de rester dormir à la Boulangerie, d’aller encore pointer et d’y rester entre 14 h et 16 h. Tout ça c’est dur pour moi car ça empêche les activités comme les cours de français, trouver des endroits pour me poser avec les amis et oublier les problèmes.
Alpha. Depuis que j’ai l’OQTF, je n’arrive pas à sentir ma vie. Je me sens comme si j’étais dans la prison. Comme s’il y a quelqu’un qui veut gâter ma vie. Je me sens isolé et tellement stressé. La nuit je n’arrive pas à dormir.
Mamadou. Il y a beaucoup de jeunes qui ne veulent plus sortir, même pour prendre le métro pour aller étudier aux cours des associations. Ils ont peur d’être contrôlés par la police et amenés en CRA. On a laissé nos mères et nos parents car dans nos pays les droits ne sont pas respectés. Tu penses aller vers un pays où les droits de l’homme sont respectés, où les droits des enfants sont respectés, où les droits des femmes sont respectés. Tu fuis la misère pour venir te réfugier dans ce pays qui a colonisé ton propre pays. Tu traverses le désert, la Méditerranée pour finir par te retrouver dans cette situation en France : en bas des ponts, dans la rue… Et du jour au lendemain, tu te retrouves avec cette obligation de quitter le territoire et la peur que cette OQTF soit exécutée ! Imaginez ce qu’il peut se passer dans la tête d’un jeune s’il n’a aucun soutien ! Vous n’imaginez pas ce que signifie pour un jeune l’idée d’être ramené dans son pays d’origine.
Ses espoirs étaient de venir ici, de pouvoir gagner de l’argent pour commencer des études. Vous ne vous rendez pas compte ce que ça signifie pour un jeune d’être ici. Face à cet État, on vous appelle tous à être mobilisés. La France, c’est pour nous. C’est à nous de descendre dans la rue pour faire respecter nos droits. Voilà ce que nous voulons dire car ce qu’il se passe au niveau de la répression, c’est la chasse à l’homme, la chasse aux mineurs. Retailleau, il joue avec nos vies.
Blaye. On ne va pas oublier ni pardonner ce qu’il s’est passé le 18 mars. Depuis que le collectif a été créé, il ne fait que prendre de l’ampleur. On est visibilisés, on va partout. Il y a même une coordination nationale des mineurs dans plus de dix villes qui s’est inspirée de nous, le collectif de Belleville — et ont créé leur propre collectif. Ça continue un peu partout. L’État français voit que c’est une lutte qui est noble donc ils essayent de casser le collectif. Mais on va faire ce qu’on peut pour les empêcher car c’est la seule façon pour nous d’exister. Dans les campements, personne ne vient nous voir si ce n’est la police. S’ils cassent le collectif, on est mort car, ici, on a pas le droit de parler. C’est dans les Assemblées, les réunions, les médias qu’on peut toucher les gens — expliquer ce que nous vivons ici. On est pas là juste pour être là. On est là pour un but très précis, parce que les occidentaux ont pris nos richesses et ont créé des conflits dans nos pays. Donc on n’a pas le choix et on part pour une vie meilleure. On ne demande pas grand-chose. On demande d’être à l’abri, un logement, l’école, la santé : l’égalité des droits pour tous et toutes.
Le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, les personnalités et les organisations signataires appellent tout un chacun à se rassembler à proximité du tribunal administratif de Paris (7 rue de Jouy) pour soutenir les mineurs isolés lors de leurs audiences qui se tiendront les 6 juin, 10 juin, 17 juin et 24 juin mais aussi à participer au grand meeting de soutien du 27 mai à la Bourse du Travail.
Texte publié sur le site de Politis ainsi que la liste complète des signataires : https://www.politis.fr/articles/2025/05/la-repression-cest-la-chasse-a-lhomme-la-chasse-aux-mineurs/