Publié le Mercredi 9 novembre 2022 à 10h26.

1525, La Guerre des paysans, scénario Gérard Mordillat, dessin Éric Liberge

Éditions Futuropolis, 110 pages, 22 euros.

En 1514, le chantier de la basilique Saint-Pierre de Rome, commencé en 1505, avance bien sous la direction de Michel-Ange et de Raphaël, mais coûte extrêmement cher. Pour financer la suite, le pape Jules II nomme Albert de Brandebourg à la tête du puissant archevêché de Mayence en échange de 24 000 ducats. Argent qu’il rembourse en vendant des indulgences sur ses terres — et dont il reverse la moitié pour la suite du chantier papal…

Le scandale du commerce des indulgences

Le commerce de ces indulgences est, pour Martin Luther, le scandale de trop. Professeur à l’université de Wittemberg, protégé de Frédéric III, électeur de Saxe, il s’engage encore plus résolument contre le pape « prostitueur », l’Église catholique, sa richesse et ses messes en latin, incompréhensibles du commun des fidèles. Dans son combat pour la Réforme de l’Église, il est rejoint par Thomas Münzer, moine proche des paysans et de leur misère. Pour eux, payer pour obtenir le pardon de Dieu alors qu’ils sont déjà saignés par tous les impôts des seigneurs les pousse un peu plus vers la révolte.

Si Luther reste ferme sur son opposition au pape, il ne n’imaginait pas que ses 95 thèses contre le commerce des indulgences, traduites en allemand, seraient ainsi comprises comme un appel à se réapproprier les biens de l’Église catholique, mais aussi les biens de ceux qui les exploitent et détiennent les richesses.

Alliés, Martin Luther et Thomas Münzer finissent par s’opposer

S’étant rapproché des seigneurs et princes allemands, Luther finit par s’opposer à Münzer qui, lui, va plus loin en déclarant que champs, bois et rivières sont le bien de tous et pas seulement celui des seigneurs.

À sa suite, les paysans, armés de fourches, faucilles et autres outils, pillent les monastères, libèrent les nonnes des couvents et incendient les châteaux… Des dizaines de milliers de paysans mènent cette guerre contre les riches et les possédants. Ils sont finalement battus, massacrés par milliers, et Thomas Münzer est pris, torturé et exécuté.

Sanglant épisode de la lutte des classes

Après Engels1 ou Ernst Bloch2, Gérard Mordillat et Éric Liberge reviennent sur ce sanglant épisode de la lutte des classes. Les deux auteurs avaient déjà commis ensemble la saga le Suaire (Futuropolis, 2018), autre opus sur la marchandisation dans l’Église, et le plus contemporain Notre part des ténèbres (Les Arènes, 2019).

Ici, l’histoire nous est contée par la voix de Luca, jeune et talentueux dessinateur, élève de Raphaël, espion du pape, traducteur de Luther et finalement ami de Münzer. Le crayonné et les lavis en noir et blanc de Liberge alternent avec bonheur scènes intimistes et mouvements populaires.

Alliés à la fluidité du texte, les dessins somptueux donnent à cette révolte le statut d’épopée qui, à l’instar de la Commune de Paris et de la guerre d’Espagne, reste gorgée d’espoir malgré la défaite, rappelant ainsi les paroles Bertolt Brecht : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu ».

Citation pour citation, Thomas Münzer, au moment d’expirer aurait selon son bourreau résumé ainsi son combat : « Omnia sunt communia », « Toutes les choses sont communes », phrase écrite sur la banderole de la manifestation très contemporaine qui clôt l’album. Autre manière de dire : « Tout est à nous, rien n’est à eux, ce qu’ils ont, ils nous l’ont volé. »

  • 1. Friedrich Engels (1870), La Guerre des paysans en Allemagne, introduction Rachel Renault, préface Éric Vuillard, Éditions sociales, 2021.
  • 2. Ernst Bloch (1922), Thomas Münzer, théologien de la révolution, trad. Maurice de Gandillac, préface Thierry Labica, Éditions d’Amsterdam, 2022.