Publié le Mercredi 14 octobre 2015 à 15h43.

17 octobre 1961 : la bataille d’Einaudi

Publié par Afrique en lutte. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République  de Fabrice Riceputi, préface de Gilles Manceron, éd Le passager clandestin, octobre 2015, 240 p., 15 €

Le livre de Fabrice Riceputi est le récit du combat implacable de Jean Luc Einaudi, mort en 2014, pour sortir le 17 octobre 1961 de l'amnésie programmée. Un combat pour faire éclater la vérité et arriver, lentement mais inéluctablement vers la reconnaissance historique et politique de ce qu' il faut nommer un crime colonial d État, Fabrice Riceputi nous confronte à l’incapacité à penser l'histoire coloniale, face à la pollution quasi institutionnelle des nostalgiques d'un roman national constellé de héros et autres hauts faits.

Sa réflexion articule l'imaginaire raciste issu de cette période aux représentations contemporaines de l' immigration post coloniale, et met à jour le lien indéniable entre le massacre d octobre 61, les révoltes des quartiers populaires et la résistance aux crimes sécuritaires et racistes.

Véritable document, ce livre retrace le minutieux travail d'enquête d'Einaudi et son affrontement contre Maurice Papon, jugé en 1997 pour son rôle actif, entre 1942 et 1944 dans la déportation de 1690 juifs de la Gironde vers Drancy, dernière étape avant Auschwitz. Appelé à témoigner Jean-Luc Einaudi affirme qu’il y avait eu, à Paris en octobre 1961, un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon alors préfet de police. Coup de tonnerre médiatique et politique, cette déposition fait exploser une véritable bombe qui met à jour les charniers de la République. 

Fabrice Riceputi relate aussi les luttes d'Einaudi contre un appareil d État plus enclin à vérouiller ses archives et taire ses secrets qu'à faire émerger ce tragique épisode de l'histoire de France. La ténacité et le courage d'Einaudi ont fissuré l'omerta qui étouffait cette tragédie, et fait du 17 octobre 61 le symbole des nombreux crimes coloniaux jusqu'alors occultés pour préserver un semblant de consensus national.

C'est le retour de cet événement dans la mémoire collective que dépeint l'ouvrage de Fabrice Riceputi, l'acharnement d un homme contre le négationnisme officiel. Car au delà du duel avec Papon, c est bien la raison d'État qu Einaudi a voulu briser en anéantissant le mensonge de la version officielle.

L'insuffisante reconnaissance en 2012 par un François Hollande qui admet du bout des lèvres la tragédie du 17 octobre, si elle est une avancée vers la vérité historique, reste bien en deçà de l'exigence des responsabilités politiques sur laquelle le mutisme reste lourd.

La bataille d’Einaudi porte en elle un enjeu éminemment politique, celui d'une République coloniale dont l’impensé est toujours présent.

 

Gisèle Felhendler

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