Publié le Jeudi 14 novembre 2019 à 10h37.

Adults in the Room, de Costa-Gravas

Film franco-grec, 2h04, sorti le 6 novembre 2019.  

Costa-Gavras a choisi de mettre en scène la période de février à juillet 2015, de la victoire électorale de Syriza à la capitulation d’Alexis Tsipras, en dépit des résultats du référendum du 5 juillet 2015 par lequel la population grecque avait nettement rejeté les propositions destructrices de l’Union européenne.

L’Europe qui ne se montre pas

Durant cette période se sont succédé à un rythme accéléré les réunions officielles et officieuses des pays membres de l’Union européenne. La Grèce, souvent représentée par son ministre des Finances Yanis Varoufakis, y est en position d’accusée. Il s’agit de faire plier son gouvernement afin qu’il accepte les exigences européennes. Varoufakis a enregistré une bonne part de ces réunions. C’est la force d’Adults in the Room (ce titre vient d’une réflexion de Christine Lagarde) : donner à voir cette Europe qui ne se voit pas, et où s’exprime brutalement un total mépris pour un gouvernement démocratiquement élu, notamment dans les réunions de l’« Eurogroupe » qui est pourtant une instance informelle théoriquement sans pouvoir. Certains des acteurs sont excellents et transcrivent bien tant l’air faussement détaché de Christine Lagarde que l’hypocrisie sans scrupule du ministre français Michel Sapin qui, en privé, affirme son soutien à Syriza et l’enfonce complètement en public.

Des critiques… légitimes 

Le problème est que Costa-Gavras a complètement endossé la thèse exposée par Varoufakis dans le livre qui a donné son titre au film. On peut la résumer comme suit. Dès le départ, et c’est un point intéressant confirmé par d’autres sources, Tsipras et Varoufakis sont discrètement d’accord pour laisser tomber le programme de Syriza et tenter d’arriver à un accord avec Bruxelles. Varoufakis veut arriver à un compromis tel qu’il permette (selon lui) de faire repartir l’économie grecque par un allègement de la charge de la dette : ce serait le sens de son combat dans les réunions européennes. Par contre, Tsipras est décrit comme un velléitaire balloté entre les différentes ailes de Syriza (avec notamment une forte pression d’une aile droite qui commence à sortir du bois) et toujours en attente d’une marque de bonne volonté d’Angela Merkel.

Dans plusieurs textes disponibles sur le site du CADTM1, Éric Toussaint, qui anima la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, a fait justice des affirmations de Varoufakis sur son absence de responsabilité sur la capitulation de juillet. Dans le film de Costa-Gavras, la gauche de Syriza, lorsqu’elle est (rarement) évoquée, est réduite à une bande de vociférateurs inconséquents, et le peuple grec est largement absent. Tout semble reposer sur la tête d’épingle du duo Tsipras-Varoufakis et de quelques comparses, confrontés à la meute des dirigeants européens.

La présidente du Parlement grec de l’époque a également critiqué le film dans une lettre ouverte à Costa-Gavras2. Il est, dit-elle, erroné de présenter ce qui s’est passé en 2015 comme le résultat unique du comportement des créanciers. Le gouvernement grec a sa part de responsabilité. Il n’a jamais soulevé la question de l’annulation de la dette, n’a pas non plus remis en question son remboursement, mais au contraire l’a accepté dès l’accord du 20 février. Quant aux personnes qui disent qu’elles ont dû céder car elles n’étaient pas préparées, Zoé Konstantopoulou leur rétorque qu’elles ont « choisi de ne pas se préparer car elles avaient accepté de capituler ».

Au total, on trouvera dans ce film une description éclairante des coulisses bruxelloises, mais qu’on n’en attende pas une véritable compréhension du tête-à-queue de Syriza. 

Henri Wilno